Cédric Klapisch, cinéaste impressionniste

C’est une drôle de date que celle d’un 1er août pour se rencontrer à Paris : les touristes ont fait fuir les Parisiens, la chaleur a investi les lieux et le café, à 9h30 du matin, abrite déjà quelques fidèles et touristes égarés, à l’appétit pantagruélique.

Le cinéaste du Péril jeune, Un Air de famille, L’Auberge Espagnole, Ce qui nous lie, En Corps, La Venue de l’Avenir (et de tant d’autres merveilles !) entre dans les lieux, souriant et s’installe à ma table, acceptant d’emblée, mi-poli, mi-amusé ma comparaison de peintre/cinéaste, fil rouge choisi pour mener notre entretien.

Ainsi, en guise d’introduction, je lui demande comment se plonge-t’il dans une nouvelle œuvre. Au fil des ans, a-t’il pris des habitudes ? « Ça commence d’abord et toujours par le désir : une histoire, une ville, un personnage, un acteur… »

Il cite d’emblée Romain Duris, avec qui il a réalisé huit films en trente ans et qu’il a vu grandir à l’écran après l’avoir engagé dans Le Péril jeune en 1994. « Il s’est passé une période de dix ans où l’on n’a pas travaillé ensemble et l’on s’est retrouvé sur Salade grecque (2023) et là, j’ai vu à quel point, il était devenu quelqu’un d’autre, avec une carrière. Dans Le Péril jeune, il n’avait jamais fait de cinéma donc le décalage entre ces deux périodes était assez joli. »

Sujet, toile, pinceaux, outils : l’écriture en marche

Le lieu importe aussi comme, par exemple, avec Ce qui nous lie, où Klapisch rêvait de faire un film qui se passe en Bourgogne : « Je me suis demandé ce que je pouvais bien vouloir raconter autour du vin pour filmer là-bas ? Et très vite, il y a eu cette histoire de famille, d’héritage qui est née. »

Et du temps devant sa toile, Cédric Klapisch en passe-t’il beaucoup ? L’intéressé avoue : « J’ai des contre-exemples, en fait, et ce, dans les deux sens. »

Peut-être (1999), par exemple, est un projet qu’il a porté pendant six ans, confronté à des obstacles financiers et narratifs, l’amenant à réécrire entièrement le scénario, après avoir réalisé d’autres films entre-temps.

À l’inverse, L’Auberge espagnole a vu le jour en un temps record : trois semaines d’écriture, quatre mois entre l’idée et le tournage. Ce dernier film, bien que rapide à concrétiser, était nourri de souvenirs personnels, notamment ses années d’études à New York, transposées à la génération Erasmus. « Le temps de travail préparatoire est donc très variable. Cela peut aller de trois semaines à sept ans. », résume le scénariste et cinéaste.

 Un film, ça commence d’abord et toujours par le désir.

Le sujet une fois établi, l’écriture se nourrit de documentation, d’exploration des personnages, bien sûr et de la ciselure des dialogues : « Cela se passe devant l’ordinateur surtout. Mais pas mal de choses arrivent aussi pendant le tournage et peuvent être liées avec ce que l’acteur propose. J’aime faire évoluer les choses dans l’instant. »

Il lui arrive aussi d’écrire à plusieurs : « Ecrire seul, c’est, de fait, plus personnel parce que on est entre soi et soi. Quand on travaille avec quelqu’un d’autre (parfois jusqu’à 6 personnes pour Salade Grecque !), il y a ce qu’on appelle l’intelligence collective. Quelque chose rebondit entre nous, un peu comme au ping pong et c’est vraiment à celui qui aura la bonne idée. »

Hormis quelques films écrits seul (Chacun cherche son chat, L’Auberge espagnole, Casse-tête chinois, ou bien encore, La part du gâteau), c’est souvent avec l’écrivain et scénariste Santiago Amigorena que Klapisch remet le couvert dans l’écriture à quatre mains : « On a une relation un peu unique. Santiago est devenu un grand écrivain. Il sait ce que c’est qu’un récit. Et ensemble, nous avons une complicité qui date de longtemps : on s’est connu au lycée, on a passé des vacances, voyagé ensemble. C’est à la fois une histoire d’amitié et une histoire de travail. A l’âge que j’ai, c’est super agréable de partager ça. »

L'Auberge Espagnole

Les comédiens de l’Auberge espagnole (2002) de Cédric Klapisch – Droits réservés.

Esquisse, composition, détails et textures : le tournage à l’œuvre

Sur le plateau, Cédric Klapisch aime retrouver ses comédiens comme il aime en découvrir de nouveaux, ou plutôt « révéler ».

« Au casting, il y a deux choses qui comptent. A la fois, la rencontre avec la personne (et on s’aperçoit en le faisant que chaque personne est unique) et ce qui devient de plus en plus intéressant pour moi au fil du temps, l’interaction. Par exemple, dans mon dernier film, j’ai pris Sara Giraudeau parce que ça matchait bien avec Suzanne Lindon. J’aurais pris une autre actrice de 20 ans, je n’aurais pas choisi la même mère. Et donc l’interaction pour moi est importante et de la même façon, quand j’ai vu ce qui se passait entre Suzanne Lindon, Paul Kircher et Vassili Schneider, je me suis dit : c’est eux trois ! »

Un journaliste, raconte Klapisch, s’est amusé à faire la liste des gens qu’il a découvert ou aider à émerger depuis ses débuts à lui. « La liste est longue, commente-t’il, l’œil pétillant, « plus d’une cinquantaine d’acteurs à présent. Comme Gilles Lellouche (Ma part du gâteau, 2011), pour qui c’était son premier rôle important au cinéma, ou Cécile de France, ou Karin Viard… Ou comme ceux de la série Dix pour cent qui ont tous clairement gagné en notoriété après la série. Je ne les ai pas tous « découvert », mais j’ai certainement aidé à les faire émerger. Et ça… ça me rend heureux et fier… »

Tout le monde me disait : Jean-Paul (Belmondo) est content, il revit des choses qu’il n’avait pas vécues depuis longtemps.

Il y a les révélations, les complices mais aussi les rencontres avec de grosses pointures qui restent mémorables. Comme celle un peu magique avec Bacri ou Belmondo.

Sur le film Peut-être, raconte le cinéaste non sans émotion, « j’avais besoin de quelqu’un d’un peu exemplaire. Au départ, j’avais pensé à Michel Serrault, mais il a refusé. Et là, je me suis dit : “Pourquoi pas Belmondo ?” — même si je n’osais pas vraiment lui demander. J’étais persuadé qu’il dirait non. » Après le refus de Serrault, Klapisch se lance. Belmondo met du temps à lui répondre, mais finalement accepte. « Il n’avait pas travaillé avec de jeunes réalisateurs depuis longtemps, et je crois que ça l’a intrigué. Le scénario lui paraissait risqué, un peu flou, mais je pense qu’il m’aimait bien ».

Belmondo lui parle de Godard, de À bout de souffle, de cette époque où il ne comprenait rien à ce qu’on allait tourner le matin. « Et j’ai senti qu’il retrouvait ce plaisir-là, cette liberté. Il est arrivé avec toute son équipe, dans une ambiance hyper positive. Tout le monde me disait : Jean-Paul est content, il revit des choses qu’il n’avait pas vécues depuis longtemps. »

Et avec Romain Duris, Belmondo le met tout de suite en confiance. « Une vraie alchimie entre eux, comme je l’espérais secrètement — un peu comme entre lui et Gabin dans Un singe en hiver de Verneuil. Il avait plus de 75 ans, et il adorait rencontrer quelqu’un de la nouvelle génération. Ils se sont vraiment bien entendus. »

Comme un tableau, faire un film, c’est travailler aussi le cadre, la lumière, le mouvement, les couleurs. « Au début, comme je venais de la photographie, j’avais besoin de partir du cadre pour composer mon image, mais je me suis libéré de ça, au fur et à mesure. Lorsqu’on tourne une scène, on cherche une harmonie entre les éléments : les mouvements de caméra, les gros plans, la musique… tout doit s’accorder. Parfois, on fait plusieurs prises, surtout pour les plans-séquence complexes. Par exemple, pour une scène dans Dix pour cent, j’ai fait 21 prises avec tous les acteurs. Les meilleures étaient entre la 5e et la 7e, mais on hésitait aussi avec les dernières. Au final, on ne garde qu’une seule prise. D’autres fois, on filme sous plusieurs angles — gros plans, plans larges, plans-séquence — pour avoir du choix au montage. Et parfois, tout est décidé à l’avance ».

Suzanne Lindon, La Venue de l'avenir (2025) - Cédric Klapisch - Droits réservés.

Suzanne Lindon, La Venue de l’avenir (2025) – Cédric Klapisch – Droits réservés.

Le montage ou les finitions essentielles

Comme on l’a vu précédemment, le cinéaste, contrairement au peintre est rarement seul au travail. Le cinéma est avant tout un travail d’équipe et ma comparaison peintre/réalisateur, je l’avoue a quelque peu ses limites.

Mais le montage reste, comme les finitions chez le peintre, ce qui demeure la signature du film. « On dit souvent que le montage, c’est deux fois le temps du tournage ». C’est bel et bien ce qui s’est passé avec La Venue de l’Avenir (2025) où le tournage a duré trois mois et le montage, six.

Chez Klapisch la musique compte aussi plus que tout pour rythmer le film et l’incarner de la façon la plus authentique. En ce sens, depuis plus de vingt ans, il collabore avec Loïk Dury, compositeur fidèle et complice. « Là aussi, comme avec Santiago, on se connaît par cœur ».

Sur Ce qui nous lie, premier film que le réalisateur tourne à la campagne, « on s’est dit qu’on ne pouvait pas faire de la musique urbaine ». Habitués aux sonorités jazz, hip-hop et funk, ensemble, ils cherchent une nouvelle voix. Loïk Dury propose alors une approche radicalement différente : « Il faut que ce soit biologique, naturel, tellurique. » Ce mot — tellurique — devient le fil conducteur d’une musique enracinée, presque organique, même lorsqu’elle emprunte à l’électro.

Quand on voit un tableau de Monet, on pense tout de suite à Debussy.

Pour La Venue de l’Avenir, la musique devient un peu plus encore un terrain d’exploration picturale. Le réalisateur évoque une esthétique proche des Impressionnistes : « On s’est interrogé avec Rob sur ce que ça signifiait qu’une musique impressionniste. » Comme dans Impression, soleil levant de Monet, il s’agit de capter des reflets, des sensations fugitives. Le générique illustre cette quête : « Ce sont des bouts de son, et à un moment, ça fabrique de l’harmonie. » La référence à Debussy s’impose naturellement en fin de film. « Quand on voit un tableau de Monet, on pense tout de suite à Debussy ». Mais au-delà du clin d’œil, c’est tout un pan de la musique du XIXe siècle qui inspire l’équipe : Saint-Saëns, Satie, Ravel… « Tous ces compositeurs, à cheval entre deux siècles, étaient dans une espèce de tentatives, au fond proche de ce qu’est devenu le jazz », analyse-t-il, voyant en eux les pionniers d’une modernité musicale.

Et le choix du titre, dans tout cela ? Un peu comme Woody Allen qui renferme ses idées de films, sous la forme de petits papiers griffonnés dans une boite soigneusement cachée, Cédric Klapisch nous avoue l’existence de sa propre « boîte à titres ».

« Pour La Venue de l’Avenir, c’est la première fois que je suis parti de là pour trouver ce qui collait vraiment au film. On avait choisi au début d’utiliser une métaphore visuelle pour le titre (on avait pensé à Voir) mais ça ne fonctionnait pas du tout. Le processus de fabrication de ce film étant devenu beaucoup plus temporel, on a choisi La Venue de l’Avenir pour questionner ces deux époques et inverser le jeu temporel, ce que j’ai trouvé beaucoup plus intéressant, au final », de conclure Cédric Klapisch, dont l’œuvre, au fond s’apparente assez à celle des Impressionnistes, entre poésie, sincérité et recherche constante de modernité dans le ton comme dans l’image.

Un grand merci à Cédric Klapisch pour sa patience et sa bienveillance.

Portrait de Cédric Klapisch – Crédits photo : © Emmanuelle Jacobson Roques

 

 

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