Philippe Caroit, entre discipline et liberté

Connu du grand public pour ses prestations télévisuelles, Philippe Caroit possède surtout un parcours de comédien et d’artiste éclectique (il est également peintre et auteur). Le hasard faisant bien les choses, ce jeune étudiant en médecine des années 80 tente l’expérience bouleversante du théâtre, en osant le grand plongeon avec le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine…

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être comédien ?

J’ai commencé à faire du théâtre, pas du tout pour être comédien. En fait, j’étais étudiant en médecine et je voulais faire partie des Médecins du Monde, parce que je trouvais ce métier noble et qu’enfant de Tintin, j’ai toujours aimé voyager.

Je ne suis pas issu d’une famille d’artistes mais ma sœur aînée était à l’époque apprentie-comédienne. En troisième année de médecine, je suis parti à Montpellier, histoire de changer d’air. Un jour, un peu comme on conseille à un ami de faire du sport, ma sœur aînée me dit : « Fais du théâtre pour apprendre à te connaître, à sortir tes émotions. » J’ai donc commencé à faire du théâtre un peu comme une activité qui pouvait me faire du bien.

Et alors ?…

Cela a été assez immédiat. Le hasard a fait que quand je cherchais un cours de théâtre à Montpellier, je rencontre une fille qui voulait être comédienne. Elle me dit : « écoute Philippe, je prépare une scène pour entrer au Conservatoire de Montpellier, tu serais parfait pour me donner la réplique.

On passe la scène au Conservatoire. Et à la fin de son audition, il y a Michel Touraille, le directeur du théâtre qui lui dit : « c’est très bien (elle avait été choisie) et ton ami, s’il veut venir, il est le bienvenu. »

Je suis revenu l’année suivante à Paris, en quatrième année de médecine, dans l’idée de faire du théâtre de manière sérieuse tout en restant étudiant en médecine.

Vous avez donc poursuivi le théâtre et la médecine en même temps ?

Oui, au début. J’habitais dans le Marais, qui était encore à l’époque un quartier populaire, et je me suis inscrit au cours de théâtre, en bas de chez moi et qui s’appelait le cours Alain Hillel. Un jour, on me propose de jouer dans L’Ecume des jours de Boris Vian. Le cachet était misérable mais on s’en foutait parce que je gagnais déjà ma vie en tant qu’externe.

Donc je joue L’Ecume des Jours. C’était ma première rencontre avec le public. Et là, ce fut un grand choc.

Comment avez-vous rencontré Ariane Mnouchkine ?

Sur L’Ecume des Jours, j’ai rencontré un agent. Je lui avoue ne pas être un dingue de théâtre, mes seuls souvenirs positifs c’était d’avoir vu Jean Piat jouer Cyrano quand j’avais huit ans à la Comédie Française et un spectacle d’Ariane Mnouchkine. Mon agent part se renseigner et dix jours plus tard m’apprend qu’Ariane fait passer un casting pour renouveler sa troupe.

Je me suis dit que c’était une opportunité unique d’approcher un peu cette femme géniale. Donc je me pointe aux auditions de La Cartoucherie.

Je prends une matinée de mon temps d’externe pour vivre ça. J’étais sûr d’être viré le premier jour parce qu’il y avait plein de mecs vieux de trente piges qui avaient fait le Conservatoire, travaillé avec Vitez.

Comment s’est passé cette session de casting ?

Tout le monde pouvait venir. Le soir, Ariane disait à une vingtaine de comédiens : « tu peux rester ! ». Tous les jours, il y avait 100 à 200 mecs qui arrivaient de toute l’Europe. C’était énorme. Et puis moi, de jour en jour, je pouvais rester. Je n’avais aucune pression, puisque j’étais sûr de ne pas être pris. De fil en aiguille, je suis resté plus de deux mois. A la fin de ces deux mois de stage, Ariane a proposé la liste de ceux qu’elle voulait garder. Et il y avait mon nom ! J’ai dû assez vite arrêter mes études de médecine !…

Qu’est-ce que vous avez appris pendant cette période « Théâtre du Soleil » ?

J’ai appris des choses que je n’ai jamais revues ailleurs. Ariane Mnouchkine, théâtralement, m’a appris la liberté, oser y aller, travailler avec le corps. On travaillait aussi beaucoup Shakespeare avec des malles de masques. On cherchait. Je n’avais pas d’inhibitions parce que je ne savais pas grand-chose.

Il y avait aussi un mélange d’origines dans cette nouvelle troupe qui était incroyable. Avec des comédiens chevronnés comme Philippe Hottier, qui sur scène peut tout incarner (une vieille dame, un dieu). Et un véritable esprit de troupe. La troupe fonctionne par « tours » : vous êtes au costume, à la cuisine, aux décors, et ça aide à bien travailler, à se sentir à l’aise, à prendre de l’énergie et à donner aux autres en retour. Mes potes du Soleil, c’était Julien Maurel et Pierre Fatus. De temps en temps, on était farcis, on dormait au Soleil pour être là à 9 heures le matin. Il y avait une discipline et en même temps une énorme liberté.

« Mon métier, c’est faire ce qu’on vous demande le mieux possible. »

Comment s’est passé votre passage au cinéma ? Pouvez-vous déjà nous parler de votre rencontre avec Eric Rohmer ?

Avec Rohmer, ça s’est passé grâce à une fille qui s’appellait Rosette, qui était de la bande des « Rohmerettes », si je puis dire. Il y avait Marie Rivière, Rosette. Et elle avait un rôle dans ce film-là, La Femme de l’aviateur avec Philippe Marlaud, Mathieu Carrière.

Eric me reçoit dans les bureaux du Losange. Il me fait faire une lecture pour deux journées de tournage, j’étais très content. Et au terme des deux jours, il me rappelle, il m’a rajouté 3 – 4 jours avec de nouvelles scènes. Du coup, j’ai mis le pied dans le métier du cinéma par les films du Losange, après j’ai fait le premier film de Jean-Claude Brisseau.

J’étais parti sur un créneau « cinéma d’auteur », « cinéma bien » et j’ai cassé le truc avec le film de Max Pécas, Deux Enfoirés à Saint-Tropez. Je voulais faire de la comédie, ça m’amusait.

Et la télévision a frappé à votre porte…

Au début, je n’ai fait que du cinéma et du théâtre, et quand la télé est venue me solliciter, je n’ai pas dit non. Mon métier c’est faire ce qu’on vous demande le mieux possible.

Après il y a peut-être des films que je n’aurais pas dû faire mais je n’ai pas de regrets : j’ai travaillé quasiment tout le temps, j’ai fait des voyages extraordinaires grâce aux tournages. J’ai pu remettre le pied au théâtre, la porte était toujours ouverte. C’est vrai que je ne dépends pas d’une école. Je suis libre, dépendre d’une famille ou d’une chapelle, c’est risqué.

Revenons à Robert Hossein avec qui vous avez travaillé à deux reprises..

C’est vrai que quand vous êtes très jeune comédien, que vous sortez du théâtre du Soleil, que vous avez quasiment pas joué, qu’on vous propose le rôle de Jésus au Palais des Sports, et qu’en plus Robert à l’époque (il avait vingt ans de moins), était dans toute sa puissance, c’est impressionnant.

Mais en même temps, je n’avais pas peur. Chez Ariane, j’avais appris que le respect n’est pas la soumission. Avec Robert, lors de la première semaine de répétitions, il y a eu un petit clash, sur une question de place et je me suis opposé à son idée parce que je savais où était ma place. Il a vu que je pouvais lui répondre, il a eu de l’estime pour moi. L’expérience humaine a été énorme.

Ce fut un succès phénoménal. On l’a joué plusieurs mois, c’était « surplein » tous les soirs. Il y avait une ferveur. Je suis chrétien, catholique « de formation » (rires) mais je m’étais très éloigné de l’Eglise.

J’ai vraiment joué mon rôle, mon personnage en dehors de cette ferveur ambiante ; je ne me suis pas posé de questions sur les miracles mais plutôt sur ce qu’il avait fait de sa vie. Ce qu’un homme peut jouer : le fait de s’opposer aux pharisiens, à des pouvoirs politiques en place.

Il fallait trouver son humanité…

Voilà, d’ailleurs le spectacle s’appelait « Un homme nommé Jésus ». Pour moi c’était une expérience passionnante. En plus il y avait beaucoup d’éléments extérieurs et périphériques, qui m’ont marqués à vie : une rencontre avec Jean-Paul II, qui a été un vrai choc pour moi. Et dans ma vie des événements plus dramatiques : ma sœur qui était comédienne, est morte pendant le spectacle. Elle s’est suicidée. Pour moi, c’était très dur, j’ai mis vingt ans à le digérer (enfin quand je dis digérer…).

Je vous parle de ça parce que Robert à ce moment-là a été parfait avec moi. Je pense que l’amour filial que j’ai pour cet homme tient au fait qu’il a été là les jours qui ont suivi, exactement comme il fallait. Il m’a vu dans ces état-là et ça m’a beaucoup lié à lui.

Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de votre rencontre avec le pape Jean-Paul II ?

Un dimanche après la matinée, on est parti, Robert, sa femme, l’actrice qui jouait la Vierge Marie et moi à Rome. On a dormi là-bas. Et le lendemain, il y avait la rencontre. Il nous a reçu dans ses appartements privés. C’était bouleversant. Le Vatican, c’est des pièces de quinze mètres de haut, hyper décorées avec des gardes suisses… Et peu à peu, ça devient normal : le bruit de Rome s’estompe, le silence du Vatican vous prend. Et là, il nous reçoit dans son bureau, il est le seul habillé de blanc…

Je suis frappé par son charisme : il vient d’être victime de son attentat et me parle de sa jeunesse, du théâtre. Cet homme me bouleverse. Je ressens comme une force qui m’arrive, je ne sais pas d’où, lors de cet échange avec le pape et qui va me porter notamment dans l’épreuve personnelle que j’ai vécue quelques mois plus tard.

Vingt ans plus tard, Robert Hossein vous propose le rôle de Seznec.

Quand il m’a proposé Seznec, il y a deux ans, je me suis dit : Robert a 82 piges, il est fort mais pas éternel. C’est un peu mon père de théâtre. Le procès m’intéressait bien aussi à jouer au théâtre, étant un fans des films américains de procès. En plus, à cette époque, je tournais tous les jours pour la télé une série policière, RIS, et quand Robert m’a appelé pour me proposer Seznec : il m’a dit on commence tel jour, et le 20 avril on fait une captation en direct sur France Télévisions, donc on arrête après : les gens ne vont pas payer 30, 40€ pour voir un spectacle déjà diffusé à la télé.

Comment avez-vous appréhendé le personnage de Seznec ?

Comme les gens devaient voter à la fin de chaque représentation, Robert avait peur que les gens votent pour lui « coupable ». C’est son côté chrétien, il veut qu’il y ait une unanimité, pour penser que Seznec était innocent. Ce dont je ne suis pas persuadé mais peu importe. Au début, il avait tendance à me faire jouer un peu trop la dimension émotionnelle. Et je lui dis, non, c’est un mec qui se bat. Surtout s’il est innocent. Et donc au bout d’un moment, il a accepté que je joue plus dans l’ironie à certains moments, que je ne le joue pas comme victime. Il a vu que ça fonctionnait et que ça n’enlevait en rien l’hypothèse d’innocence du personnage.

D’une représentation à l’autre, quel était le verdict du public ?

Seznec n’a jamais été donné coupable. J’ai joué parfois des moments où il se prend un peu les pieds dans le tapis. Il se recoupait mal et je voyais que cela jouait sur le pourcentage du nombre de bulletins « coupable » ces soirs-là…

 

Pour découvrir l'univers du comédien : www.philippecaroit.com

Photo de Philippe Caroit et Robert Hossein, crédit photo : E. Robert

Portrait Philippe Caroit, crédit photo : C. Chevalin/TF1

 

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