Festival de Grignan 2009 : lettre ouverte à Bernard Giraudeau

Cher Monsieur le voyageur,

Très touchée par la rencontre et la lecture que vous avez accordée lors du Quatorzième Festival de La Correspondance de Grignan, je ne pouvais m’empêcher de vous adresser cette « lettre ouverte » pour revenir avec vous sur ce petit festival, un peu fou, où les effluves de lavande séchée côtoient celles des vieux livres sur la place du village de la célèbre Marquise de Sévigné.

Tout est petit à Grignan, en quelques minutes on a tôt fait le tour des remparts et croisé par exemple le tout nouveau ministre de la culture, M. Frédéric Mitterrand. passant devant nous comme un foudre de guerre, entouré d’une nuée d’hommes du ministère et autres gardes du corps, un peu comme ce groupe d’hirondelles qui volent bas dans le ciel rosé de Grignan, dans une sorte de hiérarchie méticuleuse, poussant des petits cris stridents… La lecture de M. le ministre ne va pas tarder… Attention, prenez place, messieurs, dames!


Cette année, vous l’avez probablement constaté, Grignan est victime de son succès: les lieux sont trop petits pour accueillir tout ce public venu en masse, et friand de ces séances de lecture inédites. Vendredi en fin d’après-midi, les festivaliers et en particulier les festivalières, de sept ans à sept-cent-soixante dix-sept ans, sont en émoi. Elles vont bientôt vous voir sur la scène de la Collégiale où vous avez bien raison de vous protéger du soleil avec votre chapeau, dixit Renée, 80 ans ma voisine.

Vous voir et surtout vous entendre. On ne se lasse pas de votre voix qui par son grain particulier nous introduit avec élégance dans le monde du voyage, celui que vous avez effectué tant dans votre vie de comédien que de voyageur insatiable. Votre lecture nous transporte dans les coulisses de ce grand romancier italien de l’après-guerre, Cesare Pavese, méconnu du grand public.

Curieusement son discours est assez proche de celui de Rimbaud que Bruno Wolkovitch lira le lendemain. Ces deux artistes souffrent de leur différence. Ces textes les dépoussièrent et leur rendent enfin justice. Au revoir Pavese, l’homme de lettres italien caractériel. Adieu, Rimbaud, l’éternel rebelle sans véritable cause. Ici ces hommes nous confient leurs angoisses et leurs obsessions: Pavese comme Rimbaud se posent chacun la question du mariage et semblent convenir que si l’Amour, avec un grand A, est la solution, celui-ci n’a pas daigné les rencontrer.

Le lendemain à Grignan dans la salle des Fêtes, plus de cinq cents personnes se retrouvent entassées pour vous rencontrer. Votre regard gris clair et votre sourire trahissent votre émotion. La nôtre est tout aussi palpable. Vous êtes venu ce jour-là pour nous parler de votre nouveau roman, Cher amour, dédié à la mystérieuse Madame T., votre compagne, à laquelle vous avez longtemps rêvé avant de la croiser enfin pour de vrai. A la sortie de cette conférence amicale, on se précipite pour vous acheter votre livre et pendant plus d’une heure et demie, vous vous prêtez courageusement, dans la chaleur lourde de l’orage qui se prépare, au jeu de la dédicace. Tout le monde rêve de vous glisser un petit mot, une anecdote inédite, pour vous faire sourire et vous donner du courage pour signer encore et encore ce beau roman que vous avez écrit par amour.

Le soir, dans les murs de la Collégiale, la lune a pris place dans les hauteurs de la nuit pour assister aux amours de Musset et de Sand, interprétés par le talentueux Xavier Gallais et la si poignante Romane Bohringer que vous connaissez bien, fille de votre ami Richard, autre fieffé voyageur. Quand les comédiens, le texte, la musique et la mise en scène sont enfin réunis, cela nous donne ici à Grignan un petit moment de grâce. Difficile à expliquer.

A présent je vais moi-même me plonger dans le bonheur de lire votre nouveau roman, et je vous remercie encore par cette lettre pour ces beaux moments partagés en votre compagnie!

Au plaisir de vous revoir, cher monsieur le voyageur!

Bien à vous,

Esprit Paillettes.

Cher Amour, roman de Bernard Giraudeau, Editions Métailié, Paris, juin 2009.

Crédits Photos: Mireille Ampilhac.

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