Critique théâtre : Colombe, délicieusement feuilletée

Avec Colombe, qui appartient à la série des « pièces brillantes » écrites par Jean Anouilh, la Comédie des Champs-Elysées a décidé de souffler les 100 bougies du célèbre dramaturge, habitué des lieux pour de nombreuses créations. Des retrouvailles ici rehaussées par le jeu piquant des têtes d’affiche que sont Anny Duperey et Sara Giraudeau…


Colombe, sorte de « petit oiseau tombé du nid » et pourtant déjà femme mariée et mère d’un jeune bambin, est laissée par son mari (obligé de faire ses trois ans de service militaire) aux soins de sa belle-mère, comédienne de renom. Adoptée d’emblée par ce monde équivoque mais néanmoins délicieux qu’est le théâtre et ses coulisses, Colombe va peu à peu se laisser griser.

La série des « pièces brillantes » d’Anouilh reprend le procédé « du théâtre dans le théâtre » qui permet à Anouilh de traiter avec une égale gravité et légèreté des rouages relationnels des gens du spectacle. C’est ainsi l’occasion de brosser une galerie de portraits contrastée: de la diva capricieuse, étonnamment maternelle (Anny Duperey), à la bien séduisante ingénue (Sara Giraudeau), du poète ridicule à l’amant épicurien, du régisseur philosophe, au directeur de théâtre peu scrupleux aux propositions de collaboration artistique plus que douteuses…

Comme un livre dont on dévorerait les pages, la mise en scène de Fagadau se joue des diktats d’une pièce qui dure (quand même!) 2h45 et d’un espace à redessiner constamment. Car cette pièce est avant tout une chorégraphie, un ballet incessant des décors, des personnages, des rebondissements.

Dans les « coulisses » des coulisses

Pour illustrer cette pièce en perpétuel mouvement, Fagadau propose un effeuillage subtil du décor qui se matérialise par des pans de murs, se dérobant au gré des changements de scènes et autres rebondissements. Comme un livre que l’on feuilletterait nonchalamment. Par cette mise en abyme scénique forcément nécessaire pour faire ressortir « les coulisses des coulisses », Fagadau choisit des costumes et des décors brillants tout en soulignant leur inconsistance.

Et dans cet envers du décor, on est surtout frappé par la tristesse et la mélancolie du personnage principal masculin (joué avec beaucoup de justesse par Grégory Baquet) qui sert de contrepoint à ce tourbillon de paillettes et de joies faciles. Cette tonalité dramatique est aussi le sel de cette comédie au demeurant enjouée et rythmée.

Sara Giraudeau compose une Colombe particulièrement attachante tant elle se laisse grisée avec malice par son pouvoir de séduction immédiat. Comme un personnage de cartoon, elle virevolte d’une scène à l’autre, ne perdant jamais son aspect de « petit oiseau », alors que son mimétisme par rapport à sa belle-mère, s’opère pourtant lentement mais sûrement.

Anny Duperey se régale dans ce rôle de diva capricieuse, de mère indigne et de belle-mère étonnamment maternelle. Sa présence de « monstre sacré » du théâtre est ici parfaitement crédible. Sur scène sa complicité « inattendue » d’avec sa « belle-fille » nous amuse autant semble-t’il qu’elle et sa fille, Sara Giraudeau. Une rencontre de théâtre « mère-fille » habilement exploitée.

Actuellement à la Comédie des Champs-Elysées.

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