Il y a des pièces qu’on croit connaître, tant elles ont marqué le paysage théâtral. Et puis il y a des reprises qui les réinventent avec une telle justesse qu’on a l’impression de les découvrir pour la première fois. C’est exactement ce que propose cette version d’Art, mise en scène par François Morel, au Théâtre Montparnasse.

Trois amis, un tableau blanc, et tout bascule. Ce postulat simple devient le point de départ d’une joute verbale aussi drôle que cruelle, où l’amitié vacille sous le poids des non-dits, des rancunes et des egos froissés. Mais ce qui rend cette version si savoureuse, c’est avant tout le jeu des comédiens, porté par une véritable complicité.

François Morel, Olivier Broche et Olivier Saladin ne jouent pas seulement des amis de longue date : ils le sont réellement. Et cela se sent à chaque réplique, chaque silence, chaque regard. Leur amitié transparaît dans la fluidité de leurs échanges, dans la manière dont ils se renvoient la balle avec une précision jubilatoire. Chacun campe son personnage avec une finesse remarquable : le rigide, le passionné, le conciliateur. Trois caractères bien distincts, trois visions du monde, trois façons de tirer la pelote à soi — et un plaisir de jeu communicatif.

Une vraie cour de récré

Il y a d’ailleurs quelque chose de très juvénile dans leur interprétation. On pense à une cour de récréation, à ces chamailleries d’enfants qui prennent des proportions démesurées. La manière dont François Morel pouffe de rire, par exemple, évoque irrésistiblement le rire d’un gamin pris en flagrant délit de moquerie. Ce ton enfantin, presque espiègle, donne à la pièce une légèreté inattendue, sans jamais en amoindrir la profondeur.

La mise en scène, sobre et élégante, laisse toute la place au texte et aux comédiens. Le décor épuré, les lumières subtiles, les costumes discrets : tout concourt à mettre en valeur la tension dramatique et l’humour acide de Yasmina Reza. On rit, on grince, on se reconnaît parfois dans ces disputes absurdes qui disent tant de nos fragilités.

Et le public ne s’y trompe pas. La salle, pleine à craquer, réagit avec une ferveur rare : des applaudissements éclatent en plein milieu de la pièce, comme lors d’un match, saluant les saillies les plus mordantes ou les tirades les plus percutantes. On sent une jubilation collective, une connivence immédiate entre scène et salle. Au salut, les rappels se multiplient, les ovations fusent, et l’enthousiasme ne faiblit pas. Ce succès populaire, loin de s’essouffler, ne cesse de prolonger la pièce, comme si le public refusait de la laisser s’éteindre.

Art, c’est une comédie sur l’amitié, mais aussi sur l’art, le goût, la tolérance, et cette étrange nécessité que nous avons de vouloir convaincre les autres que nous avons raison. Une pièce qui, sous ses airs légers, interroge profondément nos liens et nos certitudes.

En sortant, on se surprend à penser aux amis perdus, retrouvés, aux anciens, aux nouveaux. Pourrait-on les perdre à cause d’une célèbre « merde blanche » ? Ce tableau, finalement, ne serait-il pas le révélateur de ce que nous refusons de voir ?

Art 

De Yasmina REZA

Mise en scène François MOREL

Avec Olivier BROCHE, François MOREL & Olivier SALADIN

Scénographie Edouard LAUG
Costumes Edouard LAUG & Valérie LÉVY
Lumières Laurent BÉAL assisté d’Emmanuelle PHELIPPEAU-VIALLARD 
Vidéo Guillaume LEDUN
Univers sonore Antoine SAHLER
Assistant mise en scène Valentin MOREL

Théâtre Montparnasse
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