Thierry Frémont : “Sur scène, il faut savoir se faire surprendre”
J’ai eu le privilège et la joie d’accompagner Thierry Frémont durant un an sur ces réseaux sociaux et ce portrait réalisé en juin 2024, dans l’idée de produire un contenu « personnalisé » en est un beau souvenir. Je le rencontre un mercredi après-midi dans le café, en bas de chez lui où il a ses habitudes. A son image, celui-ci est vivant, chaleureux, « dans son jus ».
Comédien caméléon, César du meilleur espoir dès ses débuts, Thierry Frémont navigue entre théâtre, cinéma et télévision avec une exigence rare. Dans Le Repas des Fauves, il incarne André, un personnage ambigu qu’il nourrit de références, de rituels et d’une passion intacte pour le jeu. Rencontre avec un acteur qui ne triche jamais.
Dans la peau d’André : élégance et ambiguïté
Pour Le Repas des Fauves, Frémont s’est glissé dans la peau d’André, un petit bourgeois élégant, attaché à son confort et prêt à tout pour le préserver. « L’essentiel était déjà dans le texte », explique-t-il. Mais il s’est inventé une vie intime : des enfants, une solitude pesante, et ces amis qui, ce soir-là, « sont peut-être les seuls qu’il ait vraiment ». Pour s’imprégner de l’époque, il a revu des films des années 1935-42 et s’est inspiré de Jules Berry : « Il joue toujours des mecs comme André, très sympathiques, qu’on pourrait détester mais avec une saveur incroyable. »
“Le texte, c’est de la musique” : la rigueur d’un interprète
Chez Frémont, le texte est sacré : « C’est une partition que je connais par cœur. » Il le soupesait « dans tous les sens » avant d’entrer en scène. Même le costume participe à la construction : il a demandé à la costumière Mélisande de Serres de s’inspirer des tenues de Jules Berry pour donner à André « une forme d’élégance », celle d’un « petit bourgeois qui a réussi ».

Rituels et imprévus : le plaisir du danger sur scène
Sur scène, Frémont aime l’imprévu : « Il faut essayer de se faire surprendre au théâtre. » Même sous la direction « musicale » de Julien Sibre, il explore chaque soir des inflexions nouvelles. « Parfois, ça fait suite à un petit déraillement… et tout d’un coup, on prend un chemin très intéressant. »
Pour l’anecdote : Lors d’une représentation, un partenaire oublie une réplique clé. Frémont improvise une phrase qui conserve le sens, sauvant la scène sans que le public ne s’en aperçoive. « C’est là que tu vois que connaître la mécanique du texte, ça te sauve. »
Avant chaque lever de rideau, il partage un haka collectif avec la troupe : « On se serre tous dans les bras en cercle, on crie un gros “merde” ensemble. » Dans sa loge, il répète des gestes précis : « Je mets ma veste à telle réplique, mon chapeau à telle autre. »
Un déclic adolescent : la lumière comme évidence
Son désir d’être acteur naît en terminale, « vital » pour échapper à un bac qui ne l’intéressait pas. « Je voulais être dans la lumière, qu’on me regarde, voyager, changer de peau. » Après des ateliers amateurs, il franchit le pas : Cours Simon, puis Cours Florent, où il rencontre Francis Huster. « Je lui ai dit : ne prends pas de gants avec moi, bouscule-moi. » Deux ans plus tard, il intègre le Conservatoire et croise Daniel Mesguich, puis Mario Gonzalez, maître de la commedia dell’arte : « Derrière un masque, il faut être à 300 %. Ce travail m’accompagne encore. »

Marianne Basler et Thierry Frémont, Les Noces Barbares, 1987
Cinéma, théâtre, télé : une carrière sous le signe de l’éclectisme
Issu d’un milieu prolétaire, Frémont rêve d’abord de cinéma. À la sortie du Conservatoire, il décroche deux rôles principaux (Les Noces barbares, Travelling avant) et un César du meilleur espoir masculin. « Tout s’est passé vite, tout a été facile au début. Après, il y a eu des up and down. »
Pour l’anecdote : Sur Les Noces barbares, il se souvient d’une scène éprouvante où il devait rester immobile sous une pluie glaciale pendant des heures. « À la fin, j’étais transi, mais la caméra avait capté cette tension. C’est ça, le cinéma : accepter l’inconfort pour la vérité. »
Il garde en mémoire une réplique marquante, tirée d’un film de Giovanni : « L’homme est bon mais le veau est meilleur », une maxime qui résonne avec sa vision lucide du monde.
Comprendre sans juger : la philosophie d’un acteur
Thierry Frémont ne cherche pas à aimer ses personnages, mais à les comprendre : « Il faut accepter leur moralité ou leur immoralité. Si ça ne te plaît pas, ne le joue pas. » Cette exigence fait de lui un interprète rare, capable de passer du théâtre classique au cinéma contemporain avec la même intensité.
Actuellement sur la scène du Théâtre Hébertot pour la reprise du Repas des Fauves, on le retrouvera à partir du 21 janvier en compagnie de Nicolas Vaude dans Une nuit à t’attendre de Sylvain Meyniac, créée en Avignon, l’année dernière au Théâtre Chêne noir puis repris cet automne au Théâtre de l’Œuvre, dans une mise en scène de Delphine de Malherbe.