Romy, muse électrique de Clouzot

Le documentaire L’Enfer de H.G Clouzot, consacré au célèbre film inachevé, nous fait pénétrer dans la fabrique d’images du génial réalisateur de Quai des Orfèvres ou Les Diaboliques. Au coeur de cette image maudite et stylisée à l’extrème, il y a la beauté radieuse d’une jeune femme de vingt-six ans, Romy Schneider.


Celle-ci est indubitablement la muse de cette exploration aussi cinématographique que déraisonnable de la femme fatale. Quand Reggiani quittera en plein milieu le tournage, Clouzot décidera de le poursuivre malgré tout avec Romy, ne cessant de réinventer des scènes, de les retourner. Romy, sa fraîcheur, son sourire éblouissant, la grâce de ses gestes, obsède jour et nuit Clouzot.

Un mari jaloux, imagine le pire en observant sa femme au bras d’un gentil dragueur de supermarché. Telle est la trame de ce scénario qui ambitionne d’explorer le sentiment de la jalousie à travers le recours à la technique cinétique. Les lèvres de la comédienne se parent alors d’un bleu électrique signalant au public que nous sommes au coeur du fantasme du héros (les images de la réalité étant tournées en noir et blanc).

Ce documentaire a compulsé des centaines de bobines dont les nombreux essais réalisés auprès des comédiens, découvrant leurs partenaires et leurs costumes, mais également les recherches visuelles effectuées par plusieurs équipes de Clouzot, s’inspirant d’effets spéciaux très high tech pour l’époque.

Pour comprendre un peu mieux le sens de l’intrigue, Jacques Gamblin et Bérénice Béjo prêtent leurs voix aux personnages incarnés par Schneider et Reggiani. Un jeu minimaliste parfois un peu grossier mais qui sert néanmoins à donner une idée sur la direction que voulait suivre Clouzot, jusqu’à présent réputé pour préparer de façon millimétrée chacun de ses films.

UN TOURNAGE INFERNAL

Comment et pourquoi ce film est-il devenu un naufrage ? C’est un mystère pour tous. Les témoignages sont pourtant nombreux et n’hésitent pas à ironiser sur la folie obsessionnelle de Clouzot au travail, qui éreinte physiquement ses comédiens, et dont l’insomnie perturbe quotidiennement l’équipe, obligée de le suivre partout, comme un brave lassé de chien fidèle.

Et malgré l’épuisement de l’équipe et la désertion de Reggiani, Romy se plie aux désirs les plus fous du réalisateur, ensorcelé par sa beauté mi-ange mi-démon. Elle campe en effet tour à tour l’épouse modèle et la femme adultère, avec ce sourire étonnament serein de tous les plans. Masque idéal pour cacher l’inquiétude de la comédienne, qui, comme les autres personnes du plateau, ne sait plus trop où veut en venir ce réalisateur en qui elle a décidé de placer toute sa confiance.

L’infarctus de Clouzot interrompt définitivement le tournage. Ce dernier tournera un dernier film avant de mourir en 1977. L’Enfer, quant à lui, restera inachevé et les bobines mises de côté.

On dit que l’Enfer est pavé de bonnes intentions. A l’écran, celui de Clouzot contient bien plus que cela. Et la force de ce documentaire est avant tout de montrer cette oeuvre singulière comme se heurtant à ses propres limites. Il nous donne également l’occasion de découvrir une image de Romy Schneider inhabituelle: à la fois glamour et électrique, simple et sophistiquée. Plus raffinée que jamais, en somme.

L’Enfer de H.G Clouzot, actuellement en salles.

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