Critique Le Nombril : Délicieusement fellinien

Dernière pièce écrite par Jean Anouilh, Le Nombril brille par son regard pétillant sur la vieillesse et les coulisses de l’écriture au théâtre. Michel Fagadau sait utiliser la langue si virevoltante d’Anouilh, en proposant une distribution de haute volée (avec en leader, un Francis Perrin épatant), dans des costumes et décors d’une rare élégance.

Dans ce théâtre de la Comédie des Champs-Elysées où de nombreuses pièces d’Anouilh ont été créées ou reprises (on se rappelle ainsi du succès de Colombe l’année dernière), Le Nombril se révèle une vraie bonne idée de (re)création.

L’intrigue se passe dans les années cinquante, l’occasion pour les décorateurs du théâtre de s’en donner à cœur joie; sans parler des costumes drôles et élégants, rappelant aussi combien le code vestimentaire français de cette époque était encore bien compartimenté.

Bourgeois en pyjama, souffrant de la goutte et se trimballant un pansement au pied d’une taille phénoménale, le personnage de ce dramaturge à succès vieillissant, Léon, interprété de façon truculente par Francis Perrin, est l’occasion rêvée pour Anouilh de donner sa dernière vision du théâtre et de l’écriture. Peut-être somme toute, la plus personnelle de toute son œuvre.

Au service de ce regard constamment mordant sur l’entourage de ce « pauvre Léon », Michel Fagadau compose ici une véritable symphonie comique.

Concerto fellinien pour symphonie comique majeure

Car chacun des personnages qui défile devant le bureau de Léon, offre une note comique, un ton particulier, rehaussé par l’humour indéfectible du héros, seule arme employée pour se prémunir de cette invasion en règle de son espace vital.

Plusieurs catégories sociales envahissent en effet le plateau: il y a ainsi le meilleur ami aussi quémandeur qu’affectueux (Eric Laugérias aux petits oignons!), l’épouse hennissante mais non moins intéressée (géniale Francine Bergé!), la jeune maîtresse et comédienne frustrée (personnage de comédie plutôt insolite mais ici incarné avec beaucoup de justesse par Alexandra Ansidei), le gendre cocu d’un rare flegme (Davy Sardou, impeccable), le docteur de famille au diagnostic plus que douteux, le livreur de cartons de plus en plus encombrant, etc.

Anouilh a également truffé son texte de citations théâtrales, comme s’il avait conscience de l’exercice testamentaire de sa comédie. Il est amusant ici de penser que ce dramaturge vieillissant et souffreteux, ressemble étrangement à un héros de Molière, entouré de « fâcheux » et à qui ici, Anouilh a clairement voulu rendre hommage.

Ce ballet sans fin de nombrilistes hauts en couleurs, encadré par une musique jazzy et enlevée, tisse une belle complicité avec le public. Le dénouement prend même des allures de comédie fellinienne, fantaisiste mais toujours élégant.

Le Nombril

de Jean Anouilh

Mise en scène de Michel Fagadau assisté de Brigitte Villanueva

Avec Francis Perrin, Francine Bergé, Eric Laugerias, Davy Sardou, Jean-Paul Bordes, Christian Bouillette, Alexandra Ansidei, Sarah Grappin, Patrice Costa, Perrine Tourneux Décor Mathieu Lorry-Dupuy

Costumes Pascale Bordet

Lumières Laurent Béal

Son Michel Winogradoff

A partir du 29 janvier 2011.

Comédie des Champs-Elysées

du mardi au samedi 20h45
samedi 15h
dimanche 16h30

Durée du spectacle : 2h10 sans entracte