Critique théâtre: Innocence

La pièce de la dramaturge allemande Dea Loher, Innocence est entrée au répertoire de la Comédie Française, ce qui mérite d’être souligné, car elle est la première auteure de son vivant et de sa nationalité (étrangère) a bénéficié de cet honneur. Cette pièce dont les représentations débutent à peine, est jouée en alternance, salle Richelieu.

On est justement un peu surpris de ce choix de faire jouer cette pièce (très, très) exigeante, à laquelle on va s’accrocher pendant deux heures et quinze minutes, dans cette salle destinée à un public élargi (du fait du nombre de places) et amateur de comédies plus classiques.

Pourquoi n’avoir pas accueilli cet objet de théâtre si étrange dans les laboratoires auxquels servent parfois le Vieux Colombier et le Studio-Théâtre ? Faut-il y voir aussi une sorte de « dernier » défi lancé par la précédente administration du Français ?

Toujours est-il que les portes ont hélas claqué pendant la représentation. Le public, comme moi-même, par ailleurs, a eu du mal à rester réceptif à cette mise en scène volontairement fragmentée et à ce récit en apparence décousu.

Pourtant à bien y réfléchir, des éléments dramaturgiques, des répliques et des interprétations (notamment celles stupéfiantes de Danièle Lebrun et de Bakary Sangaré) nous interpellent encore.

Le ressac de la culpabilité allemande

L’univers de cette pièce est sombre, dépressif. On y parle de noyade, de croque-mort, de gens prêts à se suicider en haut d’une tour. Cela se passe dans une ville d’Allemagne du Nord, en bord de mer, de nos jours.

Dès le début, l’univers marin est prégnant et le bruit des vagues agit comme un symbole du ressac des souvenirs dont cette Allemagne de l’après-guerre n’arrive pas à se défaire, notamment dans son sentiment de culpabilité. On est surpris à ce propos de l’âge de l’auteure de cette pièce, née en 1964, et qui dans la création de cet univers contemporain européen et apocalyptique semble user jusqu’à la corde de l’héritage historique de son pays. La tragédie vécue par ce pays semble avoir traversé les décennies.

La scénographie est intéressante notamment par le truchement de vidéos d’arts figuratifs allemands projetés sur d’immenses panneaux blancs, mais au final, se révèle assez répétitive. Le choix de laisser sur le plateau tous les comédiens (même quand ils ne jouent pas ou même quand ils ont peu de texte à défendre) tout au long de la pièce est assez discutable. Le récit n’est pas si décousu qu’il n’en a l’air et la fin revient à peu près au début, dans un mouvement cyclique qui ne s’arrêterait pas.

Bref, la mise en scène semble ici étouffer un peu plus un texte qui n’est pourtant pas d’emblée facile d’accès. Les costumes sont de Jean-Paul Gaultier mais n’étonnent pas plus que cela.

A recommander uniquement aux étudiants en théâtre et théâtreux « pur jus ».

 

Innocence de Dea Loher
Du 28 mars au 1er juillet 2015.
Représentations à la salle Richelieu, matinées à 14h et soirées à 20h30, en alternance.
Réservation : 0825 10 16 80 ou sur www.comedie-francaise.fr
Crédits photo: © Christophe Raynaud de Lage / coll. Comédie-Française.

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