Critique théâtre: Trahisons d’Harold Pinter

Deux ans après avoir rompu, Jerry et Emma, mariés infidèles depuis bien longtemps échangent autour d’un verre, puis un second, puis un troisième dans un bar londonien… En déconstruisant volontairement son intrigue, Harold Pinter décortique minutieusement tous les mécanismes de la trahison, autour de ce trio attendu (le mari, la femme, l’amant), remarquablement interprété en ce moment au Vieux Colombier par Denis Podalydès, Léonie Simaga et Laurent Stocker… 

Cette histoire d’adultère se savoure à rebours. L’intrigue s’ancre dans une chronologie seventies précise que la mise en scène Frédéric Bélier-Garcia souligne de façon très moderne par la projection des années et des saisons inversées sur le rideau rouge, transformé en écran de cinéma pour l’occasion.

A propos de cinéma, il y a justement dans cette mise en scène une utilisation du rideau théâtral fort intéressante qui s’apparente à celui de la caméra, jouant judicieusement avec les plans, les personnages, les décors, comme pour observer différemment ce qui se dit et surtout, ce qui ne se dit pas.

A travers les dialogues ciselés de Pinter, ces trois personnages expérimentent chacun des trajectoires émotionnelles différentes à des instants différents, à la manière d’un kaléidoscope: mensonges, tromperies, traits d’esprit, preuves d’amour, d’amitié, désenchantement.

Une savante toile d’araignée

Le sablier du temps, justement inversé fait ressortir les mécanismes de cette trahison plurielle : il n’y a pas que le mari qui est trompé dans cette histoire mais aussi l’amant par le mari et la femme elle-même rejetée par les deux hommes amis, pour qui les séances de squashs sont des moments vitaux de retrouvailles masculines.

De sorte que le cynisme et l’humour de Pinter transparaissent un peu plus dans cette absence de jugement moral possible du spectateur sur les personnages, interprétés avec bonheur par Denis Podalydès, Léonie Simaga et Laurent Stocker.

Si l’on ressent parfois quelques baisses de régime dans l’enchaînement scénographique, on savoure toutefois le jeu très nuancé des comédiens et la richesse du texte qui se tisse comme une savante toile d’araignée…

Trahisons d’Harold Pinter
Mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia
Avec Denis Podalydès, Léonie Simaga, Laurent Stocker, Christian Gonon
Théâtre du Vieux Colombier
En alternance
crédits Photo: ©Cosimo Mirco Magliocca / collection Comédie-Française

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