Mademoiselle Chanel en hiver

A tous les âges, Mademoiselle Chanel a été une femme passionnante. Celle de 63 ans, présentée en ce moment au Théâtre de Passy, l’est tout particulièrement. Dans une très belle et fluide mise en scène d’Anne Bourgeois, Caroline Silhol compose une Gabrielle Chanel bien loin des images de papiers glacés de l’époque.

Nous voici donc plongés dans le cocon d’un hôtel de luxe suisse, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Exfiltrée de France par Churchill, Coco Chanel est rejointe par le romancier pétainiste et antisémite Paul Morand. Ensemble, ils vont tenter de travailler sur les mémoires de la plus célèbre des couturières. Celle-ci vit, à ce moment précis, une passion amoureuse bien embarrassante avec un officier allemand nazi, Hans-Gunther Von Dincklage, qui finit par la retrouver dans sa luxueuse retraite suisse, sur les bords du lac Léman. Le cœur de Coco, bien sûr, se remet à faire des embardées…

Dès les premières minutes de la pièce, le spectateur entre de plain-pied dans la vie tourbillonnante de Chanel. Jean Cocteau vient, en effet, de se faire arrêter. Ses amis vont alors tout faire pour le sortir de cette pénible situation. La pièce s’appuie ainsi sur des faits précis de la vie de Chanel et de ses intimes en même temps qu’elle lui tricote aussi toute une dimension romanesque.

Les dialogues sont très rythmés, parfois d’une ironie cinglante mais aussi empreints d’émotion et de poésie. Ils reflètent en effet l’état d’esprit mouvementé de Chanel. Cette dernière, froide et profondément désabusée en apparence, bouillonne littéralement de l’intérieur. Elle est incarnée ici tout en subtilité par la solaire et très glamour Caroline Silhol. Ce n’est pas un personnage évident à composer car le caractère de la célèbre Coco peut se montrer tout aussi détestable que profondément attachant. Tout au long de la pièce, elle offre par ailleurs, au spectateur ravi, tout un défilé de tenues chicissimes qui ont fait sa renommée.

Coco Chanel, un personnage éminemment romanesque

Face à elle, il y a Paul Morand, ancien ambassadeur de Vichy et futur académicien français. Christophe Barbier, le joue avec beaucoup de présence, d’humour et de naturel, dans l’écoute attentive d’avec sa partenaire. L’amitié qui lie ces deux célèbres personnage est ici palpable. Pas de séduction entre eux mais une véritable complicité qui permet à Morand d’être honnête vis-à-vis de Chanel et de lui dire parfois ses quatre vérités.
Christophe Barbier et Caroline Silhol, crédits photo : Laurencine Lot

Christophe Barbier et Caroline Silhol. Crédits photo : Laurencine Lot

Deux autres hommes entourent Coco Chanel : le bel espion nazi (Emmanuel Lemire très juste dans sa façon de montrer sans appuyer les failles de son personnage) et l’affable maître d’hôtel au service, de plus en plus rapproché, de sa cliente (Thomas Espinera, tout en finesse aussi).

L’auteur Thierry Lassalle n’a pas hésité à écrire des personnages peu lisses, en proie à de nombreuses contradictions et finalement pas toujours fréquentables. La mise en scène d’Anne Bourgeois donne habilement à voir et à entendre ce texte riche et vivace, jouant avec les contraintes de l’espace. Un système de décor amovible permet, en effet, aux différents actes de la pièce d’avoir leur propre identité dans le récit et de le faire avancer. Elle contribue aussi à donner plus de liberté de jeu à ses comédiens.

Elégante, sobre et fluide, cette mise en scène est un magnifique écrin pour mettre en valeur la singularité et la force romanesque de cette femme d’exception. Celle qui, elle-même, le clamait haut et fort : « J’ai choisi ce que je voulais être et je le suis. »

Mademoiselle Chanel en hiver

De Thierry Lassalle

Mise en scène de Anne Bourgeois

Avec Caroline Silhol, Christophe Barbier, Emmanuel Lemire, 
Thomas Espinera, Bokal Xie, Lucie Romain

Théâtre de Passy

Du 11 janvier au 2 avril. Du mercredi au samedi à 21h et le dimanche à 16h.

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