Retour vers le futur

Pour quelques dates seulement, se joue en ce moment à l’Epée de bois, La Mort d’Empédocle, une pièce si chère à son auteur, Hölderlin, qu’il en écrivit trois versions. Rédigée il y a plus de 200 ans, cette histoire, même si elle se réfère à la Grèce antique, semble faire fi du passé pour interpeller surtout les générations présentes et futures. C’est ce lien éternel et si beau du poète vers son public que Bernard Sobel a tenu ici à mettre en lumière.

Mais qui est donc Empédocle ? Il s’agit d’un philosophe du Vème siècle avant notre ère, qui, resta célèbre pour avoir voulu prouver son égalité avec les Dieux, en plongeant dans l’Etna. Un simple coup de folie ?

Bien évidemment, non, nous démontre ici l’allemand Hölderlin. Ce dernier écrit cette pièce au tout début du XIXème siècle, au moment où il s’ouvre lui-même au monde et notamment à la France, encore marquée des stigmates de la Révolution mais qui représente, aux yeux de ses contemporains, un monde nouveau.

Qu’a voulu explorer ici Hölderlin, dans l’exil forcé et voulu à la fois de son héros, dans son choix de se donner la mort et de ne faire qu’un avec la nature ? Une invitation sûrement à réfléchir autrement, à ne plus se fier à l’ordre établi par l’homme, à son asservissement naturel à ses propres désirs et notamment à celui de vouloir tout dominer. A fuir le groupe. A rester libre, coûte que coûte, quitte à perdre l’amitié la plus précieuse, le seul réconfort humain qui lui reste avec son jeune disciple, Pausanias. Cet acte de suicide, l’auteur ne le juge pas. Il laisse justement à son spectateur le soin de l’examiner.

La Mort d'Empédocle copyright H. Bellamy webHBE_6056

Une véritable expérience de théâtre

C’est ainsi que Bernard Sobel s’en empare dans une mise en scène dépouillée mais puissante, au service de chaque mot du texte dont on parvient ici à entendre véritablement toute la richesse.

La beauté de cette langue poétique allemande, de son élan romantique, est ici poignante. Et c’est justement dans la sobriété de cette mise en espace, dans l’usage de la lumière et de la bande-son que la magie opère. Le spectateur est ici progressivement captivé. Bernard Sobel joue constamment avec nos sens, exacerbe notre attention, à travers cette double relecture du passé : celle de la Grèce antique par le Siècle des Lumières, celle du Siècle des Lumières par notre début du XXIème siècle, bien inquiétant dans son avenir social et sociologique.

La scénographie et la création sonore sont à la fois discrètes et somptueuses, à travers l’usage de ces lumières mouvantes et de ce son de lave en fusion, illustrant la colère sourde d’Empédocle comme celle du volcan. Et de la Nature, par extension. Richard Peduzzi, (peintre et scénographe fidèle de Patrice Chéreau) et Bernard Valléry sont aux manettes.

Côté interprétation, les comédiens ne sont pas en reste et on salue ici l’importance que Sobel conserve dans la transmission, engageant des élèves en art dramatique, face à des acteurs chevronnés que sont, entre autres, Julie Brochen, Marc Berman, Valentine Catzéflis, Laurent Charpentier… Mention spéciale à Matthieu Marie qui campe un Empédocle magistral de sensibilité et de stoïcisme à la fois.

Pour la spectatrice qui, comme moi, je l’avoue, ne connaissait pas le travail de Bernard Sobel et de sa compagnie, cette rencontre, dans toute sa force dramaturgique est une véritable expérience immersive. Dans la superbe Salle de Pierre de l’Epée de bois, elle prend tout son sens. Dernière le 5 février. Vous voilà prévenus.

La Mort d’Empédocle (Fragments)

De Johann-Christian-Friedrich Hölderlin

Traduction de Jean-Claude Schneider

Mise en scène de Bernard Sobel, en collaboration avec Michèle Raoul Davis

Dramaturgie de Daniel Franco

Scénographie sous le regard de Richard Peduzzi

Création sonore de Bernard Valléry

Lumières de Laïs Foulc

Asssitant.es. à la mise en scène : Mirabelle Rousseau, Sylvain Marti

Avec Julie Brochen, Marc Berman, Valentine Catzéflis, Laurent Charpentier, 
Claude Guyonnet, Matthieu Marie, Gilles Masson, Asil Raïs 
et les élèves de la Thélème Théâtre École ; Yanis Costantini, 
Eva De Jesus Flecho, Eliana Frischer, Boris Gawlik, Eva Loriquet, 
Alexandre Ohanessian , Thibault Saint Louis, 
Mathild Schaller, Céline Squiban.

Crédits photo : H. Bellamy

Théâtre de l’Épée de Bois

Du 19 janvier au 05 février 2023 :

jeudi, vendredi 21h, samedi 16h30 et 21h,

dimanche 16h30 Relâche les lundis, mardis, mercredis

Réservation : 01 48 08 39 74

 

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