Critique théâtre : Electre / Oreste

Ces deux tragédies d’Euripide, Electre et Oreste, écrites au Vème siècle avant notre ère et réunies délibérément par Ivo Van Hove résonnent avec une force surprenante sur ce plateau boueux, animal,  encadré pourtant par les superbes dorures de la salle Richelieu. Tous les sens ou presque sont ici sollicités. Et une fois de plus, la troupe de Molière, au service de ce texte intemporel, y est magnifique.

Dans la première partie du spectacle, il s’agit de nous présenter Electre (Suliane Brahim), cette princesse déchue qui vit mariée de force à un paysan, après que son père Agamemnon, à son retour de la guerre de Troie, a été froidement assassiné, par sa propre épouse Clytemnestre (Elsa Lepoivre toujours impériale) et son amant Egysthe, proclamés rois d’Argos.

Sept ans se sont écoulés après ce meurtre. Electre voit enfin sa vengeance se concrétiser quand surgit Oreste (Christophe Montenez), son jeune frère, qui, accompagné de son fidèle compagnon Pylade (Loïc Corbery) accepte de tuer sa mère et son amant.

« Les pièces d’Euripide sont d’une brutalité et d’un réalisme presque contemporains. (…) Euripide, s’intéresse d’avantage aux émotions et à la psychologie des personnages. », précise Ivo Van Hove.

Dans l’âtre de la violence

Pas étonnant donc que le metteur en scène des Damnés se soit alors intéressé à ces deux pièces qui tendent à prolonger notre réflexion sur l’âtre de la violence.

Sur scène, le choc des classes est pictural et saisissant (les pauvres crasseux, en guenilles grises et kakis font face aux nantis, fiers dans leurs uniformes bleu royal, couleur glaciale de leur caste). Le travail d’Ivo Van Hove et de Bart Van den Eynde sur le groupe nous aide à mieux saisir que le point d’ancrage de la tragédie est avant tout social.

Les musiciens œuvrant sous nos yeux au fond du plateau, sublime ces grands moments de danses tribales, de transes incantatoires comme ces moments où l’émotion éclate individuellement, au plus profond de l’âme de ses héros.

Dans cette violence en marche, le trio Electre-Oreste-Pylade soudainement formé, nous en donne trois approches. Il y a celle d’Electre (Suliane Brahim, magnifique de souffrance et de colère crescendo), obsédée par la vengeance et qui instrumentalise son jeune frère.

Incandescente, viscérale et sublime mise en scène de la tragédie

Il y a Oreste, épargné jusqu’à présent par la déchéance et la souffrance, mais prêt au fond de lui-même à s’embraser pour mieux se reconnecter à ses racines. La deuxième partie du spectacle, la sienne, montre sa tourmente psychologique, son délire après avoir commis l’acte de matricide mais aussi sa propre révélation à lui-même dans l’action. Dans ce foyer de la peur, de l’excitation et du tourment imbriqués, Christophe Montenez est magnifique.

Pylade, enfin, cet ami fidèle d’Oreste, discret au début, puis qui connaît lui-même sa propre révélation dans la violence, comme pour mieux conjurer l’héritage de sa famille qu’il souhaite renier. Toute l’évolution complexe et souterraine de ce personnage est très justement incarnée par son interprète, Loïc Corbery.

Ivo Van Hove revisite de façon sublime le dénouement de cette intrigue. Les dernières images sont particulièrement saisissantes, comme un coup de tonnerre avec cette magnifique lumière dans la salle que soudain le plateau éclabousse sur le public.

Electre / Oreste nous donne à sentir et ressentir. Ça palpite, ça pulse, c’est incandescent, viscéral et sublime. Le théâtre, cela peut aussi être ça.

Electre / Oreste

D’Euripide

Mise en scène d’Ivo Van Hove

Avec Claude Mathieu, Cécile Brune, Sylvia Bergé, 
Eric Génovèse, Bruno Rafaelli, Denis Podalydès, 
Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Loïc Corbery, Suliane Brahim, 
Benjamin Lavernhe, Didier Sandre, Rebecca Marder, Gaël Kamilindi 
et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française.

Du 27 avril au 3 juillet 2019

Salle Richelieu

Comédie Française
Photo © Jan Versweyveld coll. Comédie-Française



Tournée internationale

Festival d’Athènes et Epidaure

Théâtre antique d’Epidaure (Grèce)

26 et 27 juillet 2019

Diffusion en direct des cinémas Pathé le 23 mai à 20h15.

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