Dieu sur le divan

Enfin le célèbre et brillant Visiteur d’Eric-Emmanuel Schmitt franchit le seuil de son cher Théâtre Rive Gauche. Dieu sur le divan de Freud (ou ne serait-ce plutôt, en fait, l’inverse ?) n’a jamais semblé aujourd’hui plus nécessaire à écouter, près de trente ans après sa création.

Une nuit de 1938 à Vienne. Quand l’œuvre du Mal s’est déjà infiltrée depuis plusieurs années dans la société autrichienne. Les bottes nazies martèlent le pavé et Sigmund Freud, âgé et malade, victime quotidienne du chantage d’un soldat fasciste, vient à peine d’assister à la brusque arrestation de sa fille chérie.

Une soirée bien particulière donc, où il se retrouve, lui, l’explorateur de l’Inconscient, à lutter avec sa propre conscience, face cet infâme laissez-passer à signer et qui sauverait sa peau en même temps que de se faire complice de l’ignoble tragédie dont les Juifs sont les victimes depuis l’arrivée, la plus légale qu’il soit, d’Hitler au pouvoir.

C’est dans cet état de chaos précis que surgit un homme mystérieux, spirituel, élégant, bondissant, pétillant, voire diablement cabot. Mais qui est ce « visiteur » qui semble tout connaître de Freud, dans son « moi » le plus profond ? Le spectateur est placé dans le même questionnement central que le plus célèbre des psychanalystes. Il ne sait pas s’il s’agit réellement de Dieu ou d’une simple projection mentale de Freud, un dialogue exigeant et haletant avec lui-même.

Un thriller philosophique rondement mené

Le décor du cabinet de Freud est planté avec son divan, bien sûr, mais aussi son bureau et sa bibliothèque (dont on rêverait de connaître le nom des ouvrages). Des voilages en proie aux courants d’air servent de murs. Tout est mouvement dans cette mise en scène élégante, attentive et soignée de Johanna Boyé.

Les personnages virevoltent en même temps que leurs célèbres répliques : « On est toujours puéril lorsqu’on s’émerveille de la vie » ; « Mais être juif, cela correspond à quel crime ? Quelle faute ? » ; « Le mal, c’est la promesse qu’on ne tient pas. Qu’est-ce que la mort, sinon la promesse de la vie qui court, là, dans mon sang, sous ma peau, et qui n’est pas tenue? ».

Et les comédiens sont chacun investis dans leur façon de camper l’interrogation philosophique de leur personnage respectif : par rapport au respect ou non du pouvoir établi, à celui de la relation filiale qui peut parfois étouffer, au respect que l’on doit constamment mener vis-à-vis de soi comme à ce Mal, toujours présent malgré la Vie et qu’il ne faut cesser de combattre.

Sam Karmann et Franck Desmedt interprètent avec autant de sincérité que de ferveur cette étrange et fascinante rencontre. Freud est tour à tour cet homme en proie au désespoir d’homme et d’athée tourmenté mais pourtant convaincu. Franck Desmedt incarne cette folle énergie de vie qui déboule sur le plateau avec fougue mais qui n’exclut pas compassion et écoute. Ils sont entourés de jeunes comédiens tout aussi investis (Kathia Ganthy et Maxime de Toledo).

Tous interprètes de ce thriller philosophique, il faut le dire, rondement mené.

Le Visiteur 

De Eric-Emmanuel Schmitt

Mise en scène Johanna Boyé

Avec Sam Karmann, Franck Desmedt, Kathia Ganthy et Maxime de Toledo

Théâtre Rive Gauche

Du mardi au samedi à 21h 

Matinées les dimanches à 15h (Relâche exceptionnelle le 2 novembre 2021)

Le site du Théâtre Rive Gauche

Réservation :  01 43 35 32 31

Crédits photo : Fabienne Rappeneau.

 

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