Entretien avec le comédien Stanley Weber

C’est dans la salle de répétitions du théâtre de l’Atelier que nous rencontrons en fin d’après-midi, le comédien Stanley Weber, actuellement à l’affiche de la pièce d’Eugene O’Neill, Anna Christie, aux côtés de Mélanie Thierry, Feodor Atkine et Charlotte Maury-Sentier. Une semaine après la première de la pièce, le comédien reste plus concentré que jamais sur son texte en même temps que sur l’idée de « chercher à se surprendre sur le plateau ». Pour Stanley Weber, Anna Christie s’annonce d’emblée comme une belle aventure humaine et professionnelle.

Comment s’est passée la première d’Anna Christie ? Comment l’avez-vous ressentie ?

Comme une première, dans le sens où je n’avais pas trop d’appréhension particulière. Je suis généralement pressé que passe la première pour mieux entrer dans le cœur du travail. C’est après qu’on commence vraiment à travailler. Pendant la première, il y a trop de tensions. Le public est très parisien, il y a des gens « importants ». Ce n’est pas ce qui me passionne le plus. Donc, ça s’est bien passé, de façon peut-être un peu tendue, un peu en force.

Votre personnage est un marin, est-ce qu’il existe ici une façon physique spécifique pour mieux l’incarner ?

J’ai du mal toujours à parler du fond du travail de comédien parce que c’est hyper personnel et je suis très pudique vis-à-vis de l’exposition de mes méthodes parce que ce sont comme des petits secrets. Mais oui, c’est sûr que c’est un personnage que l’on travaille physiquement. Ayant un peu d’expérience sur les plateaux, il faut trouver un ancrage dans le sol. Ce sont des gens qui, malgré le fait qu’ils soient en mer très souvent, sont une fois à terre très ancrés. Après, c’est plus à force de répéter sur le plateau que l’on trouve le corps du personnage mais en même temps comme on est dans quelque chose de très « naturel », de très « parlé », de très « réel, sur le moment », etc. Il faut réussir à s’en défaire pour ne pas être trop dans une composition. Il faut rester assez proche de soi.

Dans ce personnage de marin, il y a quelque chose de très concret et de très poétique à la fois…

Il est effectivement assez poétique aussi dans ses envolées lyriques. C’est une forme de poésie brute. Il a des moments de vulgarité qui peuvent faire penser à Depardieu dans son maniement de la langue où il a un côté très brutal, parfois vulgaire. Et en même temps, il dit de très belles choses. Comme « Il y a tant de grands costauds sur les mers qui donneraient tout le sang de leur cœur pour un baiser de toi ». C’est plutôt joli, assez poétique.

Il faut trouver aussi des respirations différentes pour ce personnage.

Le texte a beaucoup bougé aussi dans ce travail d’adaptation de Jean-Claude Carrière de la pièce d’O’Neill et il y a des endroits où la respiration bouge encore et où on ne va pas tarder à se fixer de plus en plus et où je vais trouver le rythme des phrases mais c’est intéressant aussi de se surprendre, ne pas trop fixer les choses non plus.

Comment s’est justement passé l’apprentissage du texte d’Eugene O’Neill ?

Je l’ai appris de façon chronologique parce que du point de vue technique lors des répétitions, on va d’abord travailler sur les premières scènes. En général, quand j’arrive, je connais très bien les premières scènes par cœur au rasoir, en répétitions, et au fur et à mesure, je continue à apprendre le texte par la suite. Encore aujourd’hui, je le réapprends tous les soirs pour mieux m’approprier le texte, je le « ré-étrenne » d’une certaine façon tous les soirs. (Rires).

Comment décririez-vous la façon de travailler de votre metteur en scène, Jean-Louis Martinelli.

Douce, concrète et enjouée. Il est très ouvert aux idées, à celle que l’acteur participe et partage.

Comment s’est passé le travail avec Feodor Atkine qui joue le père dans Anna Christie ?

J’avais déjà travaillé avec lui sur un téléfilm. Donc j’avais déjà fait connaissance avec le monsieur que j’aimais beaucoup, avec toute son expérience et sa maturité. Il fait partie de ces gens auxquels vous avez envie de vous accrocher, apprendre d’eux. Et en même temps, on est dans un rapport de force sur le plateau, où on ne s’aime pas des masses… C’était intéressant à des moments de prendre un peu de recul et d’être dans un truc plus frontal. Mais c’est quelqu’un qui est très professionnel, très humain, très agréable sur le plateau, au travail.

Et concernant Mélanie Thierry…

Pour Mélanie, c’est un peu pareil, sauf que c’est une fille ! (rires)

Je n’avais jamais travaillé avec elle auparavant, à l’exception d’un téléfilm anglais mais où nous n’avions pas de scènes ensemble. Ce qui est très agréable avec Mélanie, c’est qu’elle est surprenante tous les jours. Elle amène beaucoup d’humeur, beaucoup d’émotion, ce qui est très généreux de sa part et provoque des moments de jeu très intenses dans les répétitions.

A côté de ça, elle est très travailleuse, elle façonne. Comme on gravite autour d’elle, parce qu’elle est le rôle principal, c’est très agréable d’avoir cette boule d’énergie avec nous au milieu du plateau et qui donne autant.

En tant qu’artisan, elle est respectueuse de la mise en place du travail de Jean-Louis. Ce qui ne nous empêche pas, nous les comédiens (parce que Jean-Louis nous laisse une très grande liberté), dans cette forme de naturalisme, de retravailler, de bouger les choses dans la contrainte de sa propre mise en scène. On se dit les choses très ouvertement, ce qu’on a ressenti sur le plateau pendant cette première semaine de représentations.

Au fond, quelle est pour vous la rencontre importante professionnellement parlant ?

Tom Fontana (le scénariste et producteur de la série Borgia, ndlr). Probablement parce que il est resté quelqu’un de très proche et qu’il m’a donné un rôle qui m’a ouvert les portes de plusieurs endroits et en particulier aux USA et en Angleterre. Et surtout, dans cette opportunité-là qu’il m’a offerte, en même temps, on s’est trouvé. C’est quelqu’un de loyal, honnête, qui travaille à l’ancienne. Et qui malgré le succès monstrueux et mondial qu’il a connu avec sa série Oz est resté quelqu’un de très fidèle envers ses amis proches et envers une vision du métier assez forte, sans concessions. Droit dans ses bottes. De cela, on en apprend beaucoup, notamment quand on voit cet homme et ce grand-père épanoui. C’est une belle rencontre et un ami proche.

Pourriez-vous évoquer avec nous une journée-type au théâtre de l’Atelier ?

D’abord, c’est un lieu magnifique. J’arrive très en avance tout le temps, vers 17h-17h30 parce que j’aime bien trainer ici, revoir mon texte, bosser dans la loge, attendre mes partenaires, les saluer, faire un petit tour sur le plateau, balancer deux ou trois lignes, sentir un peu l’atmosphère. A 19h, je vais courir parce que j’ai besoin de dépenser un peu d’énergie et de m’échauffer, de lancer un peu la machine. Après, je reviens, je bois un peu d’eau, je mange une pomme, et on y va…

En plus d’Anna Christie, quels sont vos autres projets cette année…

En ce qui concerne les sorties de films, j’ai le film d’Elie Chouraqui, L’Origine de la Violence qui devrait sortir cette année. Ce film est l’adaptation du roman du même nom de Fabrice Humbert. J’y joue aux côtés de Richard Berry, Michel Bouquet et Catherine Samie, entre autres. Et là, je viens d’apprendre qu’un film d’action sur des Vikings anglais que j’ai fait, Sword of Vengeance (un truc un peu fou), allait sortir en mai prochain en Angleterre. C’est vrai qu’il s’adresse à un public très restreint mais j’avoue que j’ai adoré jouer dedans.

Un film d’action demande un certain engagement physique, le rôle est souvent muet donc c’est plus dur pour faire passer les émotions. Il faut notamment s’exprimer à travers le regard du personnage. Ce qui est drôle, c’est que c’est mon deuxième rôle principal dans un film anglais. J’avais joué dans une comédie romantique écossaise (Not Another Happy Ending) qui était sortie en Angleterre, encore un film très « typé ». Ce sont deux types de films diamétralement opposés que j’ai joué sur le même territoire, deux rôles principaux en anglais aussi. Quant au film d’Elie Chouraqui, c’est mon premier rôle principal en français.

Cet été, j’ai prévu de faire du théâtre avec la compagnie des Petits Champs avec qui j’avais déjà joué L’Epreuve. On jouera la pièce Les Noces de Sang de Lorca, mise en scène par Daniel San Pedro avec Georgia Scaliet (Comédie Française), Nada Strancar, Clément Hervieu-Léger (Comédie Française). Mais pour le moment, je me concentre surtout sur Anna Christie.

Finalement, que vous apporte le métier de comédien dans votre vie ?

Une vraie joie de pouvoir exercer ce métier parce qu’au début c’est avant tout un jeu. Au cinéma, je ne me suis jamais encore fait martyriser par un grand réalisateur tyrannique. (Rires) Je suis quelqu’un d’assez heureux en général. J’aime bouger, jouer toujours un peu plus. Ça m’apporte aussi des réponses plus universelles sur la vie, à travers des grands textes, des grandes histoires, des grands auteurs. Cela nous fait voyager dans des mondes, des questionnements, des réponses. Et dans dix ans, j’espère ressentir d’autres choses encore…

C’est un microcosme intense aussi et duquel il faut s’avoir s’extraire. C’est très important de garder ses amis d’enfance auprès de soi et qui ne font pas forcément ce métier. Ils ont un regard très différent sur ce que vous faites. Et c’est en général passionnant quand vous avez des gens qui ne connaissent pas du tout le métier et qui viennent sur des répétitions, voir des tournages. C’est toujours hyper déroutant de les voir halluciner sur notre travail, son intensité, son aspect très technique et répétitif aussi. A travers leur regard, on se rend compte que notre métier est un vrai métier à part entière.

Portrait de Stanley Weber – Crédits Photo: ©Bonfanti
Photos d’Anna Christie – Crédits Photos : ©Pascal Victor – Artcomart
 
Entretien réalisé le 27 janvier 2015, Théâtre de l’Atelier, Paris.

Post A Comment