Entretien avec Nicolas Poiret et Sébastien Blanc, auteurs de Même pas vrai

Déjà dix ans que les deux compères se connaissent et écrivent de concert pour le web, la télé et le théâtre. Même pas vrai est leur première pièce de théâtre jouée (actuellement au théâtre Saint-Georges), voilà pourquoi ils se comportent quasiment tous les soirs comme de jeunes papas attentionnés, en assistant aux représentations et en donnant à la troupe leurs avis sur les petites choses à modifier. De bons auteurs, jeunes, beaux et drôles qui plus est, cela ne court pas les rues et votre dévouée reporter a essayé d’en savoir un peu plus…

Tout d’abord, parlez-nous un peu de vos parcours respectifs…

S. B : J’ai commencé à être comédien, avec l’envie de faire l’école du cirque Fratellini. J’ai choisi par la suite l’actorat, moins exigeant physiquement. C’est vraiment un métier de feignant où on a besoin de rien faire d’autre qu’éventuellement apprendre un texte (rires).

Après, j’ai fait aussi du spectacle de rue, de l’événementiel, du théâtre très intelligent, du théâtre très con aussi. Et parallèlement, je me suis mis à écrire, un peu comme tous les comédiens qui à un moment donné se disent, « Je n’ai pas de travail, j’écris un one man show ! », et qui était relativement pourri mais que j’ai joué quand même dans des festivals, etc.

Puis je me suis mis à écrire d’autres choses pour d’autres gens que moi, tout en travaillant aussi dans la com’. Et arrive le moment où une amie commune comédienne, Marie Aline Thomassin, avec qui j’étais en cours et qui connaissait Nicolas s’est dit : « ils ont des trucs en commun, je vais les présenter ! » On la soupçonne en fait de s’être dit, « plutôt que d’avoir à lire deux pièces, autant n’en lire qu’une ! »…

On a effectivement commencé à se dire « OK on va écrire des trucs très passionnants ! » et à se raconter des bonnes blagues. On a écrit un premier truc relativement improbable qui était une sorte de « seul en scène » mais avec quand même d’autres gens dedans…

N. P : Ce n’était pas inintéressant mais c’était un one man show entre le théâtre privé et le subventionné, une pièce de musée que l’on conserve dans un coffre, en espérant qu’il n’en sortira jamais (rires). Ce spectacle avait aussi l’avantage d’être très fragmenté, une sorte de petit trésor dans lequel on va piocher de temps en temps…

S. B : Un peu comme les premiers films d’Almodovar où tu as l’impression d’avoir tous ses films en un et c’est imbitable. Enfin ma comparaison est très flatteuse (rires). « Compare-toi à Almodovar, fais-toi plaisir ! » (rires)…

N. P : Effectivement, c’est le moment de nous lancer des fleurs… Enfin voilà, on a écrit une web-série avec Marie Aline et qui nous a permis peu à peu de faire avancer le schmilblick vers l’écriture de Même pas vrai.

Et Nicolas, dans tout ça, ce fameux parcours ?…

N. P : Déjà, de mon côté j’ai baigné dedans, les chiens ne faisant pas des chats*, etc. Et tu as beau essayé de lutter contre, c’est-à-dire de faire quelque chose d’autre, de te dire « non, je veux être avocat et défendre des grandes causes », « non, je veux être psychiatre en hôpital parce que je suis déjà entouré de gros fous mais je pense qu’il y a encore plus fous », chercher à te découvrir…

Et finalement, il y a des petits déclics dans la vie : une envie d’écrire à la base un journal intime, le principe de mettre sur le papier quelque chose qu’on veut évacuer.

J’ai suivi des études de Lettres Modernes à la Sorbonne. Je me suis dit par la suite « j’aime beaucoup ce que font les profs de littérature mais je ne pense pas en être capable ». Et après je suis parti sur un coup de tête de la Sorbonne pour les Etats-Unis, à New York où j’ai suivi des cours de réalisation. Et j’ai passé trois ans là-bas. Et je suis revenu en France l’été pour des vacances.

Le 11 septembre est arrivé. Ma mère m’a enchaîné au radiateur et m’a dit : « il est hors de question que tu repartes là-bas ! » J’ai suivi des cours chez Acquaviva pour en savoir plus sur le métier d’acteur. Après, j’ai rencontré Sébastien grâce à Marie Aline Thomassin et de fil en aiguille, on a écrit des tas de choses et on s’est vraiment trouvé. Il y a une sorte d’évidence mais c’est un peu comme ça dans la vie quand on rencontre des gens et qu’on se dit au bout de deux phrases, tiens c’est marrant, on se connaît depuis toujours, finalement…

Vous écrivez sur plusieurs formats (web-série, pièces de théâtre, séries TV, etc.), quelles leçons tirez-vous de chacun de ses formats ?

S. B : Pour l’écriture de la web-série où il n’y a pas vraiment d’enjeux financiers, personne au-dessus de toi vraiment, il y a une espèce de grande liberté mais que tu fais entrer dans un format de durée (2, 3 minutes maxi).

N. P : Pour l’historique, pour le coup, la web-série, c’est une idée qui nous a été donnée par notre première lectrice du métier, Isabelle Nanty. Parce que justement, on lui avait proposé cette chose absolument informe et on lui avait demandé si ça pouvait l’intéresser en tant que comédienne, metteure en scène.

Et elle nous avait dit : « c’est franchement super intéressant mais pour l’instant, ça va être très compliqué de trouver un producteur, un théâtre subventionné ou privé, qui prennent le risque d’aller vers ce genre de choses…  Mais par contre, je vous conseille la web-série pour vous faire la main, un nom et un prénom.»

C’était la grande époque d’Un Gars/Une Fille, de Kaamelott, de Caméra Café. Et le format court est effectivement un exercice très différent, comme le roman vis-à-vis de la nouvelle : il faut être très concis, efficace. Au théâtre on a un peu plus le temps de s’étaler, de raconter. Dans une pièce ou un film, tu racontes une vie en 1h30 et il faut déjà être concis. Dans une web-série, tu racontes une vie en trois minutes !

Et quand tu travailles pour la télévision, comme on le fait en ce moment**, tu apprends une sorte d’efficacité et de contrainte, avec des deadlines à suivre. Et c’est bien d’avoir connu la liberté avant. Et à l’intérieur de ça, tu trouves aussi une forme de liberté.

Typiquement, en combien de temps vous avez écrit votre première web-série ?

N. P : C’était particulier parce que c’était l’époque où MySpace dominait Internet avant l’arrivée de Facebook. Le pitch c’était l’histoire d’une psychanalyste (on en revient toujours là !) « Coach de vie » qui répondait aux internautes. C’était une web-série interactive où les internautes posaient des questions et elle leur répondait de façon très étrange, un petit peu à la manière de Mathilde dans Même pas vrai, justement. Et l’idée, c’était que les questions soient aussi étranges. On a écrit ces épisodes avec Marie Aline et l’exercice était franchement intéressant.

Du coup, ça s’est écrit assez vite parce qu’on écrivait tous les jours pour répondre aux internautes. On a tourné tout ça en trois jours, avec Marie Aline et Sébastien qui tenaient le micro et puis voilà…

La vitesse d’écriture d’une web-série n’a rien à voir avec celle de Même pas vrai qui nous a pris un an et demi. On a écrit une première mouture, on est revenu sur le texte plusieurs fois. Avec Jean-Luc Revol, avec les comédiens, on continue encore aujourd’hui à faire évoluer des choses, en fonction des réactions du public. On aime bien travailler comme ça, jusqu’au dernier moment.

Et même encore récemment depuis que la pièce se joue ?

N. P : Oui, encore il y a deux, trois jours il y a des petites choses qu’on a modifiées…

S. B : Il y a eu deux répliques qui ont changé !

N. P : Oui parce qu’on essaye de coller à l’attente du public et c’est très particulier, finalement, parce que ce n’est jamais le même public aussi, jamais la même attente, jamais les mêmes rires aux mêmes endroits. C’est là où c’est intéressant de voir, hormis les grands rendez-vous de la pièce où l’on va rire, les petites choses que l’on peut affiner.

Vous venez voir la pièce donc tous les soirs ?

S. B : Quasiment tous les soirs ! En fait, depuis la création de la pièce, en tournée, notamment à Lyon, il y a eu une sorte de frustration de ne pas pouvoir accompagner les premières représentations. Donc là on se rattrape un peu…

N. P : On vient aussi surtout pour vérifier que l’affiche de notre pièce est toujours devant le théâtre (rires)… Je reste complètement éberlué qu’il y ait cette affiche avec nos noms dessus ! Je prends des photos…

S. B : En plus, on se marre bien avec la troupe et c’est plutôt agréable. Eux aussi le vivent très bien parce qu’en fait, ça pourrait être horrible d’avoir les auteurs qui viennent tous les soirs !

N. P : On n’est jamais venu sur le plateau aussi ! Mais je leur ai dit qu’un jour, je le ferai ! (rires)

Avant de parler de Même pas vrai, quels sont vos auteurs ou scénaristes-cultes ?

S. B : Je vais citer dans le désordre : Prévert, parce que c’est vraiment un auteur très important pour moi pour sa poésie et sa loufoquerie, Vian parce que je l’associe à mes premiers pas de comédien (je les ai faits dans un lieu qui s’appelle la Fondation Boris Vian et qui était sous l’appartement de Boris Vian ; j’ai répété certaines scènes dans l’appartement de Boris Vian, conservé dans l’état où il l’avait laissé). C’était assez impressionnant ! Shakespeare est très important aussi (Richard III, Othello, Hamlet, MacBeth, etc.) avec cette noirceur, la violence de l’écriture mêlée d’énormément d’humour.

Il y a aussi Koltès, Sarraute (Pour un oui, pour un non), tous ces auteurs qui traitent de l’humain. Vernissage de Vaclav Havel… Et après toutes les comédies que je regardais gamin dans « Au théâtre ce soir » qui tiennent autant aux auteurs qu’à leurs interprètes avec Maillan, Pacôme, où il y avait une espèce de fulgurance, d’amusement, de joie, d’émulation avec les partenaires… Avec eux, on a l’impression d’être sur une vague et de ne plus jamais s’arrêter de surfer sur les rires qui s’enchaînent. Je trouve ça fabuleux !

N. P : Moi c’était plutôt, Boule et Bill, Pif et Hercule… Non mais sans plaisanter, Tex Avery parce qu’il y a des choses dans l’enfance qui marquent, comme quelque chose de cartoonesque dans le côté absurdité, extravagance, aller de plus en plus loin et pouvoir se le permettre en dessin animé…

Ce qui m’a toujours intéressé à l’écriture c’est justement de souligner le trait d’un personnage comme dit Tennessee Williams, et encore plus qu’il ne l’est dans la vie réelle. Et j’aime bien l’absurde, les Monty Python, la surprise en humour. Ce qui me fait le plus rire, c’est quand on me surprend. Quand je ne m’attends pas face à un embranchement assez classique  à une sorte de pivotement. Et c’est aussi ce qu’on retrouve dans le cartoon. Après je suis comme Sébastien, Prévert, bien évidemment, Molière, Marivaux, sans qui on ne serait pas là, qui nous ont grand ouvert quand même la porte !

S. B : Nos pères à tous ! (rires)

N. P : Les Palmade-Robin, bien évidemment, et il y a aussi cet héritage (je pense à mon père) qui fait boule de neige, Les Inconnus, Le Splendid, toutes ces générations qui se sont succédées. Et au fond ce fameux mode de conversation, qui tient plus de l’esprit que de l’humour comme à l’époque des joutes d’esprit au XVIIIè siècle.

S. B : En fait ce qu’on aime ce sont les auteurs, où dans des situations la plupart du temps très banales, qui décalent suffisamment le langage des personnages pour qu’il y ait une raison de le retrouver représenté. Un théâtre hyper-réaliste, ce serait mortellement ennuyeux.

Dans la tragédie grecque aussi, les auteurs arrivaient à tirer un caractère, à travers des allégories et à en faire des personnages. Ce n’est pas très clair ce que je dis, au passage…

N. P : C’est très clair, justement ! (rires)

S. B : Mais sinon, j’aime bien les blagues aussi !

N. P : Les blagues Carambar, de Toto !

S. B : Les blagues de Télé Poche aussi !

N. P : La palette est large et c’est ça qui est bien ! (rires)

Dans ma critique, justement j’ai cité Arsenic et Vieilles dentelles parce que j’ai retrouvé cette férocité de l’humour dans Même Pas vrai…

N. P : C’est très flatteur ! (rires)

Avec le personnage joué par Madinier, assez proche de celui de Cary Grant…

N. P : Oui, avec cette sorte de flegme. Pour en revenir au monde du cirque, c’est le principe du clown blanc et de l’auguste. C’est Laurel et Hardy…

S. B : il faut qu’il y ait ce personnage pour permettre au public de suivre l’autre dans sa folie, son décalage.

Comment vous ait venue l’idée d’écrire Même pas vrai ?

S. B : L’idée est venue à partir du personnage de Mathilde parce qu’on aimait tous les deux pour des raisons différentes retrouver ce personnage déjà développé dans la web-série dont on parlait tout à l’heure, qui était un personnage totalement libre et désordonné. Et on s’est dit que ce serait bien de faire une pièce autour de ce personnage, de le faire vivre, etc.

On avait tous les deux envie de parler des amis et de la famille. On a aussi un entourage qu’on aurait pu enregistrer pour écrire la pièce. Il y a eu pas mal de dîners qu’on a fait avec nos amis et qui ressemblaient assez à l’ambiance de la pièce.

N. P : On a fait du copié/collé, on peut le dire…

S. B : On a tenté de mettre tout ça en forme et d’écrire une pièce qui raconte des personnages du point de vue humain et qui soit vraiment faite pour des comédiens, que cela soit jubilatoire à jouer, à regarder et supportable surtout. Que la tendresse subsiste.

N. P : Moi pour le coup, ça vient de cette peur enfantine vis-à-vis de mes parents : si un jour ma mère était gravement malade, est-ce qu’elle me le dirait ? Ça part de là, du personnage d’Arnaud, justement et effectivement par celui de Mathilde parce que c’est ma famille, c’est ma mère, c’est mes tantes…

Je suis né dans une famille matriarcale, je crois que pour 6 hommes, il y a douze femmes, et c’est ça qui est génial car comme c’est méditerranéen, ça parle, ça s’échauffe, dans la dérision et dans le dérisoire en permanence. Ma famille est comme ça. Ce qui est dérisoire, on peut le prendre avec dérision, sauf que la dérision peut effectivement basculer, peut aller plus loin. Quand on a un doigt pris dans l’engrenage, c’est difficile de le retirer… Et avec ça, on se parle toujours avec un 4ème, 5ème degré avec mes tantes, mes cousines, ma mère… On essaie d’apporter la légèreté dont la vie a besoin.

C’est d’ailleurs un autre point commun qu’on a Sébastien et moi, c’est la Méditerranée ! C’est une pièce méditerranéenne.

S. B : Oh oui, énormément !

Et au fait, qui fait quoi dans votre travail d’écriture ?

S. B : Moi, je fais le café !

N. P : Moi, je tape ! Je tape… des gens ! (rires)

S. B : On écrit côte à côte chez Nicolas et il n’était pas rare pour cette pièce-là que j’arpente l’appartement en marchant ou en montant sur ses meubles. Et on se dit les dialogues, en tapant à tour de rôle…

N. P : C’est une sorte de ping-pong…

S. B : … où comme maintenant, on parle, on parle et on se dit « stop, on va oublier ! ». On en oublie forcément une partie quand on écrit. Une fois qu’on a fini la première mouture de la pièce qui fait 480 pages, on la relit. On se dit « bon, maintenant, il va falloir raconter une histoire ! » (rires). On écrit vraiment côte à côte et on suit des directions…

N. P : On est pris en otages par nos personnages comme de nombreux auteurs. Pour le coup, le personnage de Mathilde est suffisamment fort pour nous maîtriser tous les deux. Il y a un vrai échange. On n’est pas sur un personnage chacun de notre côté mais sur tous, on échange dessus.

S. B : Et quand on commence à écrire on ne sait pas la fin ! C’est un truc qu’on aime bien.

N. P : C’est important pour se surprendre de ne pas savoir où l’on va.

S. B : Ce qu’on se dit quand on écrit ensemble le plus souvent, c’est « et si… » Un peu comme les gamins qui disent « et on dirait qu’on serait ! » (rires)

Par rapport à l’écriture des personnages… Tout part de celui de Mathilde, c’est bien cela ?

N. P : De celui d’Arnaud, aussi !

S. B : Tout part de son mensonge à lui et de son piège à elle.

N. P : Et de leurs côté « grands enfants » ! Ils sont très joueurs. Ce sont des gamins. Et je ne pense pas que ce soit une époque qui favorise ça, l’adulescent existe depuis toujours. Et ces gens qui sont toujours aussi jeunes dans leurs têtes pour se faire des petits jeux, ce qu’on retrouve par exemple aussi dans Joyeuses Pâques

Les personnages des amis d’Arnaud et Mathilde s’intègrent parfaitement à cette famille et apprécient le jeu qui s’opère entre eux et qui consiste à pimenter la vie, éviter l’ennui de la vie.

J’ai vu aussi que vous étiez entrain d’écrire une comédie romantique…

N. P : Pour le théâtre, en effet. Nous travaillons main dans la main avec José Paul. C’est un peu plus doux et sucré que Même pas vrai. Ai-je suffisamment dit que c’était une comédie romantique ? Le texte de Pas à pas est fini et il est en développement. Nous avons fait déjà une première lecture avec Zoé Félix, Lionel Auguste, Jean Franco, Jacky Nercessian… C’est une comédie romantique sur la mémoire, avec des claquettes, des flash-backs ! On a hâte de découvrir le travail de José Paul là-dessus, son univers, ce qu’il va amener.

S. B : José Paul a ce truc génial d’aller chercher ses influences un peu partout. Comme Jean-Luc Revol***, c’est quelqu’un à qui on sait qu’on peut confier le bébé, en nous surprenant. Ils travaillent vraiment dans le sens du texte.

*Nicolas est le fils des comédiens Jean Poiret et Caroline Cellier.

** Nicolas et Sébastien participent en ce moment à l’écriture de la mini-série Parents, mode d’emploi diffusée sur France 2 après le JT de 20h.

***Jean-Luc Revol est le metteur en scène de Même pas vrai.

N. B : Un grand merci à Nicolas Poiret, Sébastien Blanc et toute l’équipe du Théâtre Saint-Georges pour m’avoir permis de réalisé ce passionnant entretien !

Crédits photos: Nathalie Nicoloff

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