Mon hommage à Gaspard Ulliel

Je viens d’apprendre aujourd’hui avec une profonde tristesse la disparition de Gaspard Ulliel à l’âge de 37 ans. Le comédien avait déjà à son compteur un beau parcours, des César, une reconnaissance française et internationale du grand public et des cinéphiles. J’avais eu la chance de le rencontrer au tout début de sa carrière pour l’un de ses premiers interviews au Festival du Film de Paris en 2003, à l’occasion de la présentation des Egarés de Téchiné où il jouait aux côtés d’Emmanuelle Béart. Je tenais à lui rendre hommage ici. Il s’était montré très heureux de cet entretien.

A dix-neuf ans, le comédien Gaspard Ulliel a déjà un parcours intéressant derrière lui. Il débute à onze ans avec une brève apparition dans la série télévisée Une femme en blanc avec Sandrine Bonnaire et apparaît pour la première fois au cinéma dans un court-métrage, Alias (1998, Marina De Van). En 2001, il obtient un petit rôle dans Le Pacte des Loups (Christophe Gans). C’est le film de Michel Blanc, Embrassez qui vous voulez, qui le révèle : grâce à son rôle d’adolescent titillé par ses hormones, il est nommé pour le César du meilleur jeune espoir masculin en 2003. Ambitionnant de devenir réalisateur, il s’inscrit dans une faculté de cinéma. Il n’en abandonne pas pour autant sa carrière d’acteur puisqu’il tourne sous la direction d’André Téchiné dans Les Egarés.

745488539Quel souvenir gardez-vous de votre toute première journée de tournage ?

La toute première de ma vie ? C’est sur un téléfilm qui s’appelait Une femme en blanc, une série en plusieurs épisodes avec Sandrine Bonnaire. J’avais une phrase à dire. Et quand j’ai débarqué sur le tournage, j’ai tout de suite vu Sandrine Bonnaire et tout ce qui se passait derrière la caméra, les décors d’hôpital (et juste après un décor qui n’avait rien à voir), c’était assez rigolo de voir tous les trucages. Mais c’est vrai que j’étais assez mal à l’aise, dans mon coin, puisque l’équipe se connaissait, et que je ne venais que pour une journée…

Quel âge aviez-vous ?

J’avais environ onze ans. Je passais ma journée près de la table de bouffe, en régie. (Rires). Après, j’ai tourné une scène où un car explosait. C’était assez impressionnant : les pompiers intervenaient entre chaque prise. Mais bon, ça n’était pas vraiment une expérience cinématographique puisqu’on a fait cette scène deux fois comme ça, et je ne voyais pas la caméra. Il n’y avait ni éclairages ni de micros. (Rires).

Mais avez-vous ressenti plus de stress sur ce plateau de téléfilm que sur un plateau de cinéma ?

J’en ai ressenti forcément puisque c’était la première fois que je tournais, mais sinon, pas vraiment. C’est vrai qu’à la télé, on est plus stressé par le temps, puisqu’il y a moins de moyens, moins de journées de tournage, moins de pellicule à utiliser, on a donc moins le droit à l’erreur, en fait.

Mais bon, je suis assez vite en confiance sur les tournages parce qu’on sait qu’on peut rater et refaire la prise, ce n’est pas comme au théâtre, donc ce n’est pas stressant…

 En fait, je pense que j’ai plus une passion de la mise en scène et de l’écriture que du métier de comédien. 

463125-2005-gaspard-ulliel-et-son-cesar-580x0-3Quel souvenir gardez-vous du tournage du Pacte des Loups, où vous faites une apparition ?

C’était très impressionnant. En fait, c’était un peu un hasard parce que je faisais mon stage en entreprise, j’étais en troisième à l’époque. J’avais choisi les métiers du cinéma, donc je faisais deux jours au Cours Florent, deux jours dans une agence de casting et je terminais ce stage d’une semaine par deux jours sur un plateau de tournage. Un ami de mes parents travaillait pour la production de ce film. Le comédien qui devait à l’origine jouer mon rôle n’avait pas pu venir parce qu’il avait des épreuves du Bac à passer.

Christophe Gans a regardé les téléfilms que j’avais faits avant et il m’a pris. J’ai atterri là, c’était assez fou.

D’ailleurs c’est l’expérience la plus impressionnante que j’ai eu parce qu’au niveau des moyens, des décors, j’avais l’impression d’être à Hollywood : c’était un décor dans une sorte de carrière, avec une grotte, tout était en papier mâché et en carton-pâte, des pelures de patates étaient propulsées pour donner l’illusion de la neige tombant en gros flocons. J’avais des costumes incroyables et c’était en plein été. Dans la séquence, je suis avec ma sœur et on se fait attaquer par le loup. On doit faire avancer les brebis (c’est assez galère d’ailleurs de faire avancer des brebis !) et comme les comédiens de moins de seize ans n’ont plus le droit de tourner après minuit, ils faisaient donc jouer un nain à la place. Il avait trente, trente-cinq ans, et faisait le rôle d’une fille de douze ans : on lui mettait une perruque ; c’était assez marrant et bien évidemment impressionnant aussi de voir un décor comme celui-là, reconstruit.

Je crois que vous souhaitez réaliser des films. Aimez-vous prendre le temps d’observer les tournages des coulisses ?

Oui. Par exemple sur le tournage d’Embrassez qui vous voudrez, quand je ne tournais pas, Michel Blanc m’installait devant le combo avec lui et me mettait un casque pour que je puisse suivre. Je demande souvent aux techniciens quelles pellicules ils utilisent et au metteur en scène, quand il a le temps, de m’expliquer un peu les règles techniques (la règle des 180° par exemple). J’ai appris comme ça quelques bases. Mais bon après, je ne connais rien aux lumières et à leur technique.

Sur le film de Téchiné, j’ai souvent parlé avec l’assistant caméra qui m’a expliqué un peu les optiques, les longues focales, etc… C’est aussi pour ça que je suis les cours d’une fac de cinéma, pour en apprendre davantage sur la lumière, le cadrage…

Je pense que la meilleure chose est quand même de voir les films, plutôt que de regarder sur les tournages. A partir du moment où l’on a tourné dans un film, on sait comment se passent les choses. Quand on regarde par la suite les films, on comprend comment ils ont été faits et cela devient très intéressant de voir un film dix fois de suite, de décortiquer vraiment chaque plan, chaque mouvement de caméra.

Le premier jour, j’étais un peu impressionné à côté de Dutronc, Rampling… Mais je me suis très vite aperçu que c’était des gens comme les autres.

Votre passion du cinéma n’en est que plus forte…

En fait, je pense que j’ai plus une passion de la mise en scène et de l’écriture que du métier de comédien. De grands comédiens comme Depardieu sont véritablement passionnés, ce sont des virtuoses, ils font du théâtre, etc.

Quant à moi, je ne ressens pas cette passion folle du jeu. J’adore jouer, ça me plaît énormément, je m’investis beaucoup, mais je sais que je n’ai pas envie de rester comédien toute ma vie.

 J’ai envie d’écrire et de tourner mon film. Mais ça ne m’empêche pas de jouer en parallèle. C’est peut-être d’ailleurs une bonne chose de pouvoir faire les deux. Par contre, si j’écris un film, je ne sais pas si je me projetterais dans un rôle ou pas. Je crois que je préfèrerais rester derrière ma caméra.

Dans le film Embrassez qui vous voulez, vous avez donné la réplique à des actrices qui ont un excellent potentiel comique, avez-vous appris à leur contact ?

Je ne crois pas vraiment qu’on apprend ainsi. C’est vrai que c’est très agréable de travailler avec de tels comédiens parce qu’ils aident à être bon soi-même et à se mettre dans la situation. Mais ce n’est pas en regardant un comédien jouer la scène que je vais apprendre quoi que ce soit. Après, en parlant entre les prises avec les comédiens, on peut apprendre effectivement. Ils nous donnent des conseils, nous expliquent des choses… Au début, je me disais que j’allais être mis à l’écart au côté de ces grosses pointures, mais aucun comédien n’a été désagréable.

Le premier jour, j’étais un peu impressionné à côté de Dutronc, Rampling… Mais je me suis très vite aperçu que c’était des gens comme les autres, ils discutent immédiatement, sont naturels.

Démons, Théâtre du Rond-Point, Gaspard Ulliel et Romain Duris (Giovanni Cittadini Cesi)

Démons, Théâtre du Rond-Point, Gaspard Ulliel et Romain Duris (Giovanni Cittadini Cesi)

Avez-vous suivi des cours de théâtre auparavant ou vous êtes-vous lancé directement ?

J’ai suivi des cours quand j’étais tout petit mais rien de bien défini… Quand je faisais mes premiers castings, j’ai assisté pendant deux ou trois ans aux cours de Laurence Ledantec, une femme qui enseignait près de chez moi. Après, j’ai arrêté, j’ai fait deux ou trois stages au Cours Florent durant l’été. Je ne sais pas ce que le Cours Florent vaut à l’année, je ne l’ai jamais fait. Mais je pense qu’il faut pratiquer à plus long terme.

Sinon, j’ai eu au tout début une expérience du théâtre : on m’avait fait jouer une pièce pour présenter des produits Panasonic au Louvre… ça reste quand même une expérience face à un public. Je l’ai faite cinq ou six fois et ça durait une demi-heure.

Ce n’est pas du tout la même chose qu’au cinéma. Il y a le rideau qui s’ouvre, le cœur qui bat, mais je pense qu’après, le stress c’est comme au cinéma : une fois qu’on est dedans, on oublie complètement. Bref, pour vaincre cette peur, il faut se lancer !

Tenté par le théâtre ?

C’est difficile à dire, à la fois je ne me sens pas prêt (parce que je n’ai pas l’expérience des répétitions qui durent trois mois, je n’ai pas de technique), et en même temps, si demain on me propose une pièce, je ne vais pas refuser.

Mais je ne sais pas, c’est un autre monde que le cinéma et bon, il faut essayer !

Et quand a débuté le tournage du film de Téchiné ?

C’était l’été dernier, dans le Tarn. L’histoire se passe durant l’exode, pendant la seconde guerre mondiale. C’est un huis-clos entre Emmanuelle Béart et ses enfants. Mon personnage est assez mystérieux. Le film chronique la relation entre ces quatre personnages. Ce n’était pas un tournage très drôle, comme celui de Michel Blanc, c’était beaucoup plus sérieux et je me suis beaucoup plus investi dans le travail. Téchiné jouait beaucoup sur l’ambiance générale du tournage pour me mettre dans la peau du personnage. Et c’est précisément sur ce tournage que j’ai eu l’expérience la plus forte, en tant que comédien. Mais Téchiné est vraiment un personnage incroyable, il a véritablement réussi à me faire changer. Quand je rentrais les week-ends pour voir ma famille et mes amis, tous me disaient que je n’étais plus le même. En fait, j’étais dans le personnage, et j’ai réussi à basculer sans m’en rendre compte.

Et avec le reste de l’équipe comment cela s’est passé ?

Avec Emmanuelle Béart, qui est très sympathique, j’ai aussi beaucoup appris puisqu’on n’a pas mal discuté ensemble sur le rôle. Je n’ai pas encore vu le film dans sa version finale, mais les images que j’ai pu voir lors de la post-synchro me donnent l’impression que cela va être vraiment superbe. Dans l’équipe du film de Téchiné, il y a également une femme que j’adore : Agnès Godard, une chef opérateur qui m’a vraiment épaté en faisant un travail extraordinaire.

Entretien réalisé à Paris, le 28 mars 2003, à l’occasion du Festival du Film de Paris pour le site Objectif Cinéma.

Filmographie sélective

2001 : Le Pacte des loups de Christophe Gans

2002 : Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc

2003 : Les Égarés d'André Téchiné

2004 : Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet (César du Meilleur espoir masculin)

2006 : Paris, je t'aime de Gus Van Sant

2007 : Jacquou Le Croquant de Laurent Boutonnat

2007 : Hannibal Lecter : Les Origines du mal de Peter Webber

2008 : Un barrage contre le Pacifique de Rithy Panh

2010 : La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier

2011 : L'Art d'aimer d'Emmanuel Mouret

2014 : Saint Laurent de Bertrand Bonello

2016 : Juste la fin du monde de Xavier Dolan (César du Meilleur acteur)

2018 : Eva de Benoît Jacquot

2018 : Un peuple et son roi de Pierre Schoeller

2018 : Les Confins du monde de Guillaume Nicloux

2019 : Sibyl de Justine Triet

Théâtre

2012 : Que faire de Mr Sloane ? de Joe Orton,

mise en scène Michel Fau, Comédie des Champs Elysées.

2015 : Démons de Lars Noren,

mise en scène Marcial Di Fonzo Bo, Théâtre du Rond-Point.

 

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