Rencontre avec le comédien Alexandre Brasseur

Alexandre Brasseur joue actuellement aux côtés de Davy Sardou, dans la nouvelle création d’Eric-Emmanuel Schmitt au théâtre Rive Gauche, Georges & Georges, un hommage endiablé aux comédies de Feydeau. Nous l’avons rencontré dans la loge du théâtre où la voix de Francis Huster, en pleine représentation du Joueur d’échecs, nous parvenait par un micro. Le mot d’ordre: ne surtout pas faire de bruit! Notre entretien s’est donc fait sur le mode du chuchotement et de quelques rires étouffés…

Comment se prépare-ton à ce personnage qu’est le Docteur Galopin si cartoonesque au premier abord ?

En même temps, il vit un drame comme la plupart des personnages de Feydeau, mais ici sous la forme d’un drame inversé. Cela s’apparente à la comédie, du fait des quiproquos, du principe du « vous n’entrez jamais au bon moment », etc. Mais ce personnage a un vrai problème autour de son caractère fétichiste. Ça le dérègle complètement. Il n’est pas marié, il n’a pas de gosses. Il marche fort en tant que toubib mais la nuit, c’est un mec qui ne dort pas, qui peut se défoncer, picoler, sortir, etc. A quarante balais, ça le perturbe vraiment. Comment on aborde le personnage ? J’avoue que j’ai un peu lâché la gamberge. Je fais beaucoup confiance au metteur en scène. Je m’appuie beaucoup sur mes partenaires. Je suis surtout dans la recherche du jeu, de l’amusement, de l’instant présent. Après, j’ai mes travers mais Steve Suissa, mon metteur en scène était très bon pour gommer mes travers. Après en discutant avec Eric-Emmanuel Schmitt, en réfléchissant de manière assez conséquente, j’ai pu faire la jonction entre le fond et la forme.

Galopin, c’est une espèce de cynique décadent  et j’aime bien les gens qui sont cyniques notamment à leur propre égard, j’aime bien ce style d’humour.

Ici c’est Schmitt qui revisite Feydeau, comment le comédien ici s’insère-t’il dans ce processus artistique ?

C’est un processus de rythme répétitif assez barbant, je dois dire, assez frustrant. Répéter une pièce comme celle-là qui est avant tout une pièce de Schmitt rendant hommage à Feydeau, au début, ce n’est pas très marrant parce que les entrées, les répliques, le tempo, tout est précis ! Ça donne l’impression d’être bordélique et ça ne l’est pas du tout. Donc comme toute mécanique horlogère, tant que ça n’est pas réglé, ça n’est pas joli. Ici on a travaillé énormément. On faisait des sessions de huit heures par jour au théâtre en répétitions, ce qui est beaucoup. On a travaillé six semaines. Au départ, ça n’est pas facile, et puis tout d’un coup, ça marche. Vous passez un filage et ça marche. Vous pouvez laisser tomber la forme et vous laisser aller à l’instant présent.

On a envie aussi de savoir comment ça se passe au sein de cette troupe, parce que c’est vraiment une troupe qui joue tous les soirs au Rive Gauche ?

Ça se passe super bien justement et ça n’est pas souvent le cas. C’est la force de Steve Suissa qui a créé cette très bonne ambiance. Ça tient aussi intrinsèquement au fait qu’on a tous besoin les uns des autres. C’est une pièce chorale. Il n’y a pas de leaders. Même si la pièce se déroule chez Feydeau, les rôles sont néanmoins équitables. Chacun a de belles partitions à jouer. Il y a des clowns blancs, il y a des Auguste. Il y a trois garçons, trois filles ; tout cela est assez équilibré. On a énormément besoin les uns des autres sur le plateau. Vous devez vraiment appuyer votre confiance sur le jeu des autres.

Ce n’est pas flippant ce genre de configuration de jeu ?

Non au contraire parce que j’ai confiance en mes partenaires. Je sais que s’il y a un problème, ils sont là. On vient d’univers très différents. Néanmoins, on est tous des gens de théâtre, des professionnels. On a l’habitude des planches du principe de la troupe. Même si on est une équipe jeune, on a tous pas mal bourlingué, pas mal bossé…

Et Schmitt dans tout ça ?…

Schmitt fait partie de ces auteurs qui savent pourquoi ils écrivent. Et ce n’est pas du tout péjoratif quand je dis ça mais il y a des auteurs qui ne savent pas qu’ils vont écrire des choses divines. Lui sait. C’est un mec qui a fait de brillantes études, qui est très pointu dans son esprit, très rigoureux. Rien n’est gratuit. Donc il sait exactement pourquoi il dit ci, pourquoi il fait ça. C’était très intéressant parce qu’on a pas mal travaillé la forme avec une base de fond, avec Suissa au début. Au bout de trois semaines, Schmitt s’est pointé. Il a vu un filage dégrossi, et là, il nous a longuement parlé et il nous a distillé le fond de sa pensée. C’était très nourrissant. C’est pour ça que Suissa et Schmitt s’entendent aussi bien, ils sont très complémentaires. Et pour des acteurs c’est très intéressant d’avoir le point de vue de l’auteur. Même si notre job c’est d’interpréter, avec notre propre vision, notre chair, quelle chance avons-nous de jouer un auteur vivant, une création qui plus est !

Ce métier de comédien qui vient de père en fils dans votre famille, au fond, pourquoi en perpétuer la tradition ?

Pourquoi ? Parce que mon père m’a forcé à faire ce métier. En plus, il paie Eric-Emmanuel Schmitt pour me donner l’opportunité de jouer…

Vous arrivez au théâtre menotté…

Tout à fait. Forcé de jouer, corps et âme.

Je comprends mieux le fouet dans les coulisses…

Et les menottes dans la loge, aussi. D’ailleurs, il ne va pas tarder à arriver pour me donner mon coup de bâton et m’obliger à travailler. (rires)

C’est on ne peut plus simple en fait, c’est une éducation silencieuse. J’ai vu un père prendre son plaisir. J’aime la littérature. C’est un métier génial ! C’est plus d’ailleurs un art de vivre qu’un métier.

C’est-à-dire ?

Est-ce que j’ai vraiment l’impression de travailler ? Moi, je joue surtout. C’est très enfantin, très ludique, très primaire. C’est du jeu. Alors oui, parfois, c’est barbant parce qu’il faut apprendre du texte. Ce qui est intéressant de manière intrinsèque aussi, c’est que cela favorise l’introspection. On fait de la recherche corporelle, psychologique. Mais ce que je préfère vraiment, c’est le jeu. Quand ça part, quand je n’ai pas besoin de me prendre la tête sur le texte, que je suis dans la maitrise. Et que je peux justement m’abandonner.

C’est un métier qui est intéressant parce qu’en fait de manière plus générale aussi bien quand vous tournez que quand vous jouez, il y a un peu dans tout ça, la quête de la liberté. C’est un métier qui est très contraignant : le texte (ce n’est pas vous qui parlez), un plateau, des places, un partenaire, un public, un horaire. Vous devez parler fort. Quand vous jouez la comédie au cinéma, vous avez un cadre, un partenaire, des marques partout au sol, des micros partout. Bref, c’est le bordel. Vous êtes encombré de contraintes. Le but ultime dans tout ça, c’est de trouver sa liberté dans ces contraintes.

C’est la chanson de Jacques Brel, c’est la quête du parfait, « de l’inaccessible étoile ». Je ne parle pas de l’étoile dans le sens du star system, entendons-nous bien ! Ça, j’en suis très éloigné.

Vous avez commencé votre carrière à Londres…

J’ai vécu à Londres. J’y ai fait mes études. J’y ai même travaillé (notamment pour MTV). Je suis parti assez jeune là-bas, à dix-neuf ans. J’y ai appris l’anglais (rires). Mais aussi dans l’apprentissage de l’art dramatique anglais, une exigence très élevée. A cette époque, j’allais énormément au théâtre, plusieurs fois par semaine, presque tous les soirs pour voir du lourd : la Royal Shakespeare Company, les théâtres privés, etc. Ils ont énormément d’humour et d’intelligence. Ils sont beaucoup moins terre-à-terre, rationnels. Ils laissent beaucoup plus de place à l’imaginaire du spectateur.

On peut retrouver certains types de metteurs en scène qui font ça en France, au subventionné. Chéreau a beaucoup travaillé comme ça. Dans le subventionné, on peut retrouver ce côté abstrait mais il y a toujours une façon de mettre en scène trop sombre, trop appuyée… Chez les Anglais, pas du tout. Il y a de la légèreté, de l’irrévérence. Shakespeare n’a jamais été aussi bien monté que par les Anglais. Briançon aussi dans sa Nuit des Rois qu’il avait monté pour la première fois, était remarquable, respectueux du texte et irrévérencieux en même temps. Savary avait aussi un peu cet état d’esprit.

Quels sont vos projets ?

Jouer Georges et Georges jusqu’au 4 janvier. Nous partirons avec ce spectacle en tournée à partir de janvier 2016 en France, en Belgique et en Suisse. J’ai une comédie pour TF1 qui peut peut-être se décliner sur des épisodes avec Virginie Hocq, Claudia Tagbo, Arié Elmaleh, Cécile Rebboah, une comédie réalisée par Julien Ferrière (Neuilly, sa mère !) qui fonctionne très bien sur des histoires de couples, d’une quarantaine d’années. Et j’attaque dans dix jours le tournage de la prochaine création originale de Canal Plus, que réalise Eric Rochant, 10 x 52 minutes, une grosse machine sur le monde secret de la DGSE. Avec Kassovitz, Darroussin, Léa Drucker. Du gros cast. C’est très excitant. Je suis très content d’avoir intégré Le Bureau des Légendes.

En guise de conclusion, si l’on devait regarder en arrière, quelle est votre rencontre la plus marquante dans votre parcours actuel ?

Georges Wilson ! Je l’ai rencontré quand j’avais 25 ans, sur La Cerisaie. On a travaillé ensemble pendant près de deux ans de manière intermittente. Vous avez 25-30 ans, vous êtes un jeune comédien et vous rencontrez un monsieur comme lui, de ce niveau-là, qui vous met en scène, ne met pas de pincettes pour vous dire les choses, avec qui vous jouez tous les soirs. C’est une grosse leçon. Il m’a appris beaucoup sur la rigueur, le respect du travail, les plaisirs du jeu. Je lui dois beaucoup, c’est mon patron !

Un grand merci à Alexandre Brasseur et au théâtre Rive Gauche pour cet entretien.
 
Georges & Georges
D’Eric-Emmanuel SCHMITT
Mise en scène de Steve SUISSA
Avec Davy SARDOU, Alexandre BRASSEUR, Christelle REBOUL, Véronique BOULANGER, Zoé NONN et Thierry LOPEZ. 
Scénographie (décors) : Stéfanie JARRE,
Lumières : Jacques ROUVEYROLLIS,
Costumes : Pascale BORDET,
Musique : Maxime RICHELME
Assistant mise en scène : Stéphanie FROELIGER
Actuellement au Théâtre Rive-Gauche, plus d’infos sur les horaires et billetterie: ici !
Rejoignez aussi la page Facebook de la pièce: https://www.facebook.com/georgeszetgeorgesautheatrerivegauche

 

Post A Comment