Sébastien Pouderoux, dans la fosse aux lions

Une semaine auparavant, par un joli matin d’octobre, qui ensoleille la terrasse du Nemours, je fais signe au comédien Sébastien Pouderoux qui y prend son café-croissant. Il accepte ma proposition d’interview « au débotté ». Et c’est une semaine plus tard, sur les mêmes lieux du crime, face à la Comédie-Française, que je retrouve son 535ème sociétaire à qui le cinéma commence à faire les yeux doux*…

 Quels ont été tes liens personnels avec le théâtre ?

Je ne suis pas né dans une famille d’artistes, même si mes parents étaient très sensibles chacun à sa manière à l’art en général. Mon père, à travers ses photos, à l’esthétique et à l’image ; ma mère à travers l’écriture d’ouvrages sur l’éducation et l’enfance. Mais le théâtre n’avait pas vraiment de place dans la famille dans laquelle j’ai grandi. Je pense que c’est ma mère qui a cru déceler chez moi, enfant, une aptitude au jeu. J’aimais bien faire le pitre, raconter des histoires.

Quand as-tu commencé à suivre des cours de théâtre ?

J’ai commencé assez tôt. Il y a eu une espèce de déclic quand j’étais au collège où j’ai intégré un atelier de théâtre. J’avais 11 ou 12 ans et il a été question à un moment, en hommage au départ du professeur de théâtre, de jouer un sketch de Raymond Devos, devant tout le collège et j’ai été choisi pour le faire. Je me rappelle avoir eu un trac monstrueux mais c’était aussi ma première expérience de scène. Et encore une fois, ma mère a senti qu’il y avait quelque chose et j’ai écouté son intuition. Elle m’a inscrit dans un cours privé, celui de Véronique Daniel, à côté de chez nous, à Fontenay-sous-Bois. A partir de ce moment-là, j’ai voulu être acteur mais je ne savais pas très bien en quoi ça consistait, à vrai dire. (Rires).

La vision que j’ai aujourd’hui du travail est très différente de celle que j’avais à l’époque.

Comment tu te l’imaginais justement à l’époque ?

En fait, je crois que ce que j’aimais le plus, c’était rencontrer les personnages sur scène, découvrir les gens, raconter des histoires. Et c’est quelque chose que j’ai rencontré plus tard : quand on joue, on est amené à connaitre des gens de manière très intime très vite, dans ce qu’ils ont de plus vrai. La peur découvre aussi les gens. A la faveur du trac, on découvre comment sont les gens. Il y a une complicité, une solidarité qui se crée.

Je me rappelle que lors de la pièce que j’ai jouée en sortant du TNS, Le Tartuffe, mise en scène par Stéphane Braunschweig, avoir été saisi après 15 jours de répétitions, par cet accès immédiat à une intimité. Et, je crois que c’est ce qui me plaisait dans ce cours de théâtre : chercher des textes, des scènes avec mes partenaires et les connaître vraiment plus profondément. Et curieusement, cet aspect du jeu, je ne l’ai apprécié véritablement que ces dix dernières années.

« Souvent les rencontres les plus importantes sont celles qu’on fait avec les gens qui vont s’éveiller au théâtre avec nous. »

 Peux-tu nous raconter comment tu es entré au TNS ?

J’ai passé le concours, je m’en rappelle très bien, sans le dire à personne, même pas à mes parents parce que j’avais tellement peur de le rater (Rires). Je pense que j’avais peur aussi de mon désir en quelque sorte.

A l’époque, j’étais au Conservatoire de Créteil et là encore par peur, je n’avais pas intégré une des grandes écoles de formation comme le Cours Florent où il y a une compétition sauvage et où il faut batailler pour passer sa scène devant le prof. Cela aurait était impossible pour moi de travailler dans de telles conditions. Je pense que j’aurais attendu toute l’année, collé au radiateur, avant de jouer la scène. Et au Conservatoire de Créteil, on était huit ! (Rires) Je pouvais difficilement me cacher… J’ai passé ce concours et je l’ai eu ! Et ces trois ans consacrés exclusivement au théâtre ont été un moment extraordinaire pour moi

Comme une pierre qui..., © Simon Gosselin, coll. Comédie-Française

Comme une pierre qui…, © Simon Gosselin, coll. Comédie-Française

Comment se sont passées concrètement ces trois ans de formation au TNS, de 2004 à 2007 ?

J’ai eu la chance de tomber sur une promotion géniale, avec des gens avec qui je continue à travailler encore aujourd’hui : Marie Rémond, Clément Bresson (qui est entré dans la troupe il y a 3 ans), Léo-Antonin Lutinier… Bref, plein de gens fabuleux !

Quand il m’arrive de faire un peu de la pédagogie dans des écoles de théâtre, je leur dis toujours que souvent les rencontres les plus importantes sont celles qu’on fait avec les gens qui vont s’éveiller au théâtre avec nous, des gens de la même génération. On découvre ensemble le théâtre qu’on a envie de faire.

Parmi les professeurs du TNS, quelles ont été pour toi, les rencontres importantes ?

Il y a eu des gens extrêmement importants pour moi, comme Stéphane Braunschweig, bien sûr, le directeur du TNS, qui m’a même engagé le premier.

Alain Françon aussi, parce qu’il apporte une vraie forme de rigueur dans le travail. J’ai toujours le sentiment que quand on rencontre des maîtres comme ça, quel que soit le théâtre que l’on veut faire, ce sont des gens qui ont une foi absolue dans ce qu’ils font. Alain Françon, par exemple, va suivre des journées de répétitions de 13h à 23h en mangeant uniquement une pomme. C’est vraiment quelqu’un de passionnant et passionné.

De lui, je garde plusieurs leçons marquantes dont celle de différencier la justesse et la justice. Dans le jeu, il ne s’agit pas de justesse mais de rendre justice à l’auteur. Et il est exactement dans cette velléité qui force le respect.

Enfin, il y a eu une autre rencontre vraiment déterminante du point de vue de l’interprétation pure qui est celle que j’ai eu avec Françoise Rondeleux, une très grande pédagogue qui m’a transmis les prémisses de ce que signifie interpréter et faire des choix. Un personnage peut s’appréhender de mille et une manières différentes. Le chant qu’elle nous faisait pratiquer nous renvoyait toujours à l’interprétation.  La musique permet de la débloquer et surtout de comprendre les liens que l’on peut faire entre soi-même et l’histoire.

La Puce a l'oreille de Georges Feydeau - Mise en scène Lilo Baur © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

La Puce a l’oreille de Georges Feydeau – Mise en scène Lilo Baur © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

On parle de chant, mais tu es aussi musicien…

Oui, j’ai commencé dès l’âge de trois ans à jouer du piano. Après j’ai fait pas mal de violon et cassé beaucoup d’archets (rires). La pratique du violon ne m’a pas rendu très heureux et quand j’ai découvert la guitare à 17 ans, ça a été pour moi une vraie épiphanie. Comme plein d’ados, j’ai passé des heures à travailler dans ma chambre la guitare, délaissant complètement les études. Une vraie passion pour moi presque plus que le théâtre au début.

Comme j’avais cette aptitude-là et qu’il y avait toute une génération de metteurs en scène qui avait envie que la musique s’insinue davantage dans le théâtre, j’ai été amené à jouer de la guitare très souvent sur scène. Et j’adorais ça, évidemment !

Comment as-tu rencontré Christophe Honoré ?

Après le TNS, j’étais au JTN, le Jeune Théâtre national, cette structure qui accueille les sortants du Conservatoire, du TNS et de plein d’autres écoles nationales de théâtre. Elle permet de passer des auditions, de rencontrer des metteurs en scène pendant trois ans. C’est une période dont j’ai énormément profité. J’ai passé toutes les auditions possibles et imaginables parce que j’avais soif de rencontrer des gens, de découvrir des manières de faire du théâtre.

Et au JTN, un jour, Christophe Honoré faisait passer des auditions. J’étais fasciné par lui, il incarnait une forme de grande liberté dans son travail, une écriture cinématographique qui me semblait totalement neuve même si elle empruntait des codes de la Nouvelle Vague.

Quand il a passé cette audition-là, j’étais très excité. On était très nombreux.

« J’ai du mal à prendre la lumière mais en même temps je la veux ».

Il s’agissait de quelle pièce ?

Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo que l’on devait jouer à Avignon en 2009, dans le IN, au théâtre municipal avec un casting génial (Emmanuelle Devos, Clotilde Hesme, Marcial di Fonzo Bo, Anaïs Demoustier et Julien Honoré, le frère de Christophe). Avec Jean-Charles Clichet, on jouait un peu les clowns, les sbires polyglottes (Rires). Là encore, Christophe n’avait pas boudé son plaisir et nous avait laissé improviser à volonté, une expérience absolument géniale ! Christophe faisait du théâtre un peu comme un profane, ce qui a bien remué ma vision du théâtre à l’époque qui était alors à la limite du jansénisme austère (rires). J’avais vraiment besoin de rencontrer quelqu’un comme ça ! Et Christophe a gardé ce côté là quand il vient au Français. Il nous regarde toujours un peu comme des « va-nu-pieds » et ça fait toujours du bien d’être un peu bousculés.

Le Côté de Guermantes, © Jean-Louis Fernandez, coll. Comédie-Française

Le Côté de Guermantes, © Jean-Louis Fernandez, coll. Comédie-Française.

Tu as continué à travailler avec lui par la suite.

Oui, en 2011, il m’a proposé de rejoindre l’aventure de Nouveau Roman qui était pour moi un spectacle très important, à plus d’un titre. Notamment parce que j’avais un rôle extraordinaire, celui de Claude Simon.

On jouait tous des écrivains du Nouveau Roman. Il y avait Ludivine Sagnier, Anaïs Demoustier, Jean-Charles Clichet, Julien Honoré… A nouveau, une distribution fabuleuse ! J’avais un long monologue de 20 minutes, extrait d’un entretien de Claude Simon sur son ouvrage La route des Flandres. J’ai souvent tendance à vouloir me cacher, ce qui est un peu paradoxal avec le métier d’acteur. J’ai du mal à prendre la lumière mais en même temps je la veux. Et là, cela m’a apporté un vrai sentiment de légitimité et c’était très important pour moi.

J’ai participé également à un projet complètement dingue, avec Marie Rémond et Clément Bresson sur Open, l’autobiographie d’André Agassi. Marie jouait André et Clément et moi jouions toute la constellation de personnages autour de lui.

Ces deux spectacles-là m’ont apporté, je pense, une plus grande visibilité et donné envie à Murielle Mayette, l’administratrice du Français de cette époque, de m’engager.

En arrivant au Français, tu as tout de suite plongé dans le bain…

Oui, j’ai tout de suite répété. Je jouais Nouveau Roman à la Colline et je répétais la journée Troïlus et Cressida mis en scène par Jean-Yves Ruf.

Après j’ai joué Oblomov, Cyrano… Je ne savais pas du tout si j’allais rester, six mois, un an… Je suis entré dans cette maison pour jouer beaucoup parce que j’avais le goût de découvrir des manières différentes de travailler, connaître des partenaires, partager plein d’expériences avec eux. Et c’est vrai que j’ai été servi ! (Rires). Ici, au Français, on a un peu l’impression à chaque projet, de faire un métier différent, ce qui est passionnant.

L'Eveil du Printemps de Wedekind - Mise en scene de Clément Hervieu-Leger © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

L’Eveil du Printemps de Wedekind – Mise en scene de Clément Hervieu-Leger © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

Quelles sont les spectacles au Français auxquels tu as participé en tant que comédien et qui t’ont vraiment marqué ?

Il y en a deux principalement : L’Eveil du Printemps et La Nuit des Rois.

Pour L’Eveil du Printemps, je connaissais déjà très bien le metteur en scène, Clément Hervieu-Léger puisqu’il est dans la troupe. C’est un metteur en scène envers qui j’ai un respect infini. Avec les acteurs, il est extraordinaire de rigueur, de précision et d’intelligence. C’est quelqu’un qui sait regarder profondément l’acteur et se refuse à le mettre dans une case. Il n’arrive jamais dans une répétition sans avoir quelque chose à proposer aux acteurs. Il s’efforce toujours de rendre le jeu facile.

Je n’ai jamais fait une première aussi détendue que celle de L’Eveil du Printemps. Le rôle de Melchior était extraordinaire à jouer. J’avais 20 ans de plus que le rôle et j’ai adoré traverser ça, le passage d’un âge à un autre, la fraternité avec Christophe Montenez, notamment.

« Dans La Nuit des Rois, on jouait vraiment dans la fosse aux lions. C’était à la fois jouissif et terrifiant. »

Et pour La Nuit des Rois ?

Je jouais Malvolio, une sorte de bizut (Rires).

Ce fut une expérience très importante. Je connaissais très bien ce metteur en scène avec qui j’avais déjà fait La Mouette. C’est aussi un maître à sa manière. Il a une passion profonde pour les acteurs et la situation. Il a un art de faire comprendre. C’est toujours une sorte de traduction, l’interprétation. On lit un texte et on essaie de comprendre de quoi il est question vraiment. De rendre la situation qui se cache derrière les mots, de la rendre la plus familière, la plus précise possible. Et ça, Ostermeier sait le faire comme personne. Faire sentir de quoi il est question.

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Ce n’est pas un travail qui se fait uniquement à la table, j’imagine ?

Oui c’est un travail au plateau, qui se fait à travers des improvisations, etc. Il a des exercices, des outils. C’est toujours effrayant pour un acteur de se mettre à répéter. C’est comme plonger dans une piscine d’eau froide.

Thomas, en fait, nous fait improviser autour de situations vécues et subrepticement, il nous fait rentrer dans la scène. Il nous décharge du poids de la répétition, de la nécessité de trouver le rôle, la mise en scène qu’il veut faire.

En plus, dans La Nuit des Rois, il y avait cette passerelle qui traversait le public. On jouait vraiment dans la fosse aux lions. C’était à la fois jouissif et terrifiant.

Parmi les spectacles que j’ai mis en scène, l’aventure des Serge a été géniale aussi parce que c’était vraiment un vrai défi à relever que de faire de la musique avec des amis. Former le groupe que je n’avais jamais eu adolescent, en quelque sorte (rires).

Et là, tu travailles sur La Cerisaie avec Clément Hervieu-léger, justement. Comment se passent les répétitions ?

Génialement. Comme toujours.

J’avais découvert Tchekhov surtout avec Ostermeier quand on a fait La Mouette. C’est un répertoire excessivement difficile pour le metteur en scène comme pour l’acteur. Dans ce répertoire-là avec Ostermeier, on cherche à ne pas donner trop de poids aux répliques même s’il ne faut pas les dire non plus par-dessus la jambe. Thomas a toujours coutume de dire : « ce sont des îlots de drames dans une mer de conversation ».

Clément a une conception similaire mais se confronte différemment au texte. Il est extrêmement attaché au roman de la pièce. Ce que je trouve absolument génial. Il n’a pas peur de la psychologie. Ça l’intéresse de savoir d’où viennent les personnages, ce qu’ils font, ce qu’ils traversent dans leur vie…

Et pour moi, ce personnage d’Epikhodov que j’incarne me touche. C’est une sorte de clown triste. Personne ne comprend jamais rien à ce qu’il dit (rires). Il a une manière totalement compliquée de parler des choses. C’est quelqu’un qui est un peu enfermé dans ses problèmes et c’est très drôle à jouer.

*On a pu voir Sébastien Pouderoux récemment au cinéma dans Le Discours (2020), Guermantes (2021) 
et Boîte noire (2021).

Visiter le portrait de Sébastien Pouderoux sur le site de la Comédie-Française

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