Pierre Cardin, une coupe de champ’ et le décorum de Chez Maxim’s

Henri Chapier, que l’on ne présente plus, lançait ce soir chez Maxim’s son livre « Il est interdit de vieillir! » Invitée par un ami journaliste, je m’étais jurée de profiter du lieu célébrissime et d’interviewer uniquement les coupes de champagne. Evidemment le sort en avait décidé autrement…

Sur mon trente et un, je pénétrais dans l’antre de l’élégance à la française, qui avait vu affluer pendant des décennies des artistes brillants et des stars de cinéma mondialement reconnues. Je songeais alors à mon cher Cary Grant ou au grand poète Jean Cocteau qui y avait chacun leur rond de serviette.

J’appréciais le décor Art Nouveau, l’obligeance des serveurs, l’abondance du champagne. Bien sûr, la presque totalité des convives de ce soir-là ne soutiendrait jamais la comparaison avec la classe et l’esprit des célèbres fantômes de ces lieux légendaires. Si dans les premières années de Maxim’s, on n’hésitait pas à sauter sur les tables, si la population était toujours bien jolie à regarder (des poules de luxe, ravissantes comme des coeurs, servaient souvent de figurantes dans les soirées), et si Jean Cocteau lui-même griffonnait en toute impunité sur la nappe de superbes dessins, plus tard, Brigitte Bardot, arrivant pieds nus, poursuivait cette tradition de la provocation mondaine, de l’élégance moqueuse., so « parisienne »!

Le propriétaire des lieux, Pierre Cardin vint alors saluer mon compagnon de soirée. Distingué, le sourire aux lèvres, cet « éternel jeune homme » se souvint pour nous de ses premières années d’artiste où il côtoyait les plus grands. Quel chance avait-t’il eu de rencontrer tous ces artistes (Cocteau, Christian Bérard, Dior, Anouilh, etc.) qui l’avaient aidé à démarrer, nous avoua-t’il.

En fan de Jean Cocteau, je ne pus m’empêcher de l’interroger sur sa rencontre avec le Poète. « J’avais travaillé pendant quatre mois sur le tournage de L’Aigle à deux têtes. C’était en 1946, au château de Vizille et je m’en souviens encore comme si j’y étais. Cocteau avait ce que seuls les plus grands de ce monde ont, l’intelligence de s’adapter à chaque fois à la personne qu’il avait en face de lui. Il y a beaucoup selon moi de grands artistes qui ont créé de grandes choses mais rares ont été ceux qui tout en créant ont voulu véritablement faire partager aux autres leur art, ont créé pour les autres et non égoïstement pour soi. »

Comparant les artistes de notre époque à ceux de l’après-guerre qu’il avait bien connu, Pierre Cardin nous fit remarquer qu’il était dommage qu’il n’y ait plus de lieux où les artistes puissent avoir l’habitude de se retrouver. « Croyez-moi, Cocteau serait en vie, vous auriez toutes vos chances de le retrouver ce soir parmi nous! » A ce moment précis de la conversation, je regardais la page de couverture du livre d’Henri Chapier (« Henri Papier » pour les incollables des Inconnus) au titre si approprié à notre discussion: Il est interdit de vieillir! »

Autres temps, autres moeurs concluait notre célèbre interlocuteur. « A présent c’est la télévision qui se charge de « révéler » les talents. Il ne faut pas trop cracher dessus. Il y a parfois des petits miracles et je ne suis pas là pour juger! » Une chaleureuse poignée de mains et un sourire bienveillant vinrent ponctuer ses dernières paroles et déjà le célèbre couturier français venait de disparaître…

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