Xavier Gallais, épisode 1: le détective privé

Le comédien Xavier Gallais est partout et de toutes les affiches incontournables. Ainsi rien qu’en ce début d’année, on a pu l’apprécier aux côtés de Mélanie Thierry dans Baby Doll au Théâtre de l’Atelier, dans la lecture de Proust, avec Robin Renucci et Bernadette Laffont, à la Comédie des Champs Elysées. Pour le festival de Grignan, il lisait la correspondance de Sand / Musset en compagnie de l’émouvante Romane Bohringer. A l’image de cette personnalité complexe et généreuse, notre entretien se scinde ici en deux parties, pour notre plus grand plaisir!


Comment expliques-tu cette boulimie de jouer autant de personnages en un espace de temps aussi réduit?

Je crois que j »ai toujours été dans ce bouillonnement. Quand j’étais au lycée, le théâtre me prenait déjà beaucoup de temps. D’ailleurs, l’été dès que je ne faisais plus de théâtre, je devenais fou! J’ai très vite compris que j’avais besoin du théâtre pour exister. Et dès le Conservatoire, j’ai commencé à travailler très régulièrement. Au bout des deux premières semaines, Mesguich m’a demandé de jouer dans deux de ses spectacles. Comme je n’avais pas droit de quitter l’école le jour, je répétais la nuit avec mes partenaires. Donc j’ai toujours été dans un rythme de travail assez fort. Je me dis aussi qu’avec la morosité actuelle, les gens ressentent d’autant plus le besoin d’aller au théâtre et de se faire raconter des histoires. Il y a pour moi en ce moment une plus grande urgence à être sur le plateau.

Comment as-tu préparé la lecture de Proust ?

J’ai décidé de travailler la lecture différemment de la mise en scène classique. Je suis quelqu’un qui travaille beaucoup en amont en général et là ce que je trouve plaisant dans la lecture, c’est le rapport direct entre ce que j’appelle la chair du texte (sa ponctuation, le fait qu’il y ait des mots couchés sur un papier) et le public. Les images me traversent au moment où je les lis, et j’en fais part au public comme ça de manière assez instinctive, et assez brute. Et je crois que lors d’une lecture, le spectateur vient voir avant tout l’artisan au travail. Parfois, il y a un éclat qui n’est pas beau: la pierre se fend en deux. Mais on est assez content de le ressentir comme un objet non fini.

Tu parles souvent de la notion de « recherche » dans ton métier de comédien…

Oui, tout à fait. Je considère mon métier un peu comme celui du détective privé, dans un esprit d’enquête, de recherche. Par exemple avec Benoît Lavigne, c’est notre neuvième collaboration et on cherche à chaque fois à explorer de nouvelles choses.

Justement, peux-tu nous parler de ta récente collaboration avec Benoît Lavigne sur Baby Doll.

Il y a déjà eu mon propre travail personnel avant les répétitions. J’ai travaillé sur l’histoire populaire de l’Amérique: les immigrés pendant la Grande Dépression, le New Deal, etc. Travail normal pour savoir de quoi on parle. J’ai lu tout ce que j’ai pu sur Tennessee Williams, pour essayer de comprendre dans quel parcours Vacaro mon personnage s’inscrivait, par rapport aux autres personnages de Tennesse Williams. Puis j’ai essayé de travailler sur les westerns américains, sur les sex symbols américains, de l’âge d’or du cinéma jusqu’à Steve McQueen. C’est naturellement entré dans le travail de répétition avec Benoît: je savais qu’on allait faire un travail sur la violence de la société américaine de cette époque-là, entre les êtres, entre les sexes, et comment on se manipule, etc.

Les répétitions se sont basées sur ce climat violent et à un moment donné on a voulu aussi raconter une histoire d’amour: on a alors travaillé d’une manière plus légère, en faisant ressortir de ce contexte historique, social et culturel, cette histoire d’amour. Pour finalement revenir à la violence des rapports.

A la rentrée on va te voir dans la reprise d’Ordet au Rond Point puis tu partiras en tournée « mixte ». Tout un programme !

En effet, en plus de la reprise d’Ordet, je vais partir en tournée dès octobre pour la lecture de Proust mais aussi pour la reprise de ma mise en scène des Nuits Blanches de Dostoïevski où je joue également. Sans oublier la tournée de Baby Doll, à partir de février!

Au Danemark, Ordet c’est l’équivalent de notre Cyrano national. En France, on connaît peu cette oeuvre qui a pourtant été adaptée au cinéma par Dreyer dans les années cinquante. Je l’ai jouée à Avignon dans le « in » (en même temps que je jouais dans le « off » Les Nuits Blanches) et pour moi, cela a été une aventure humaine sublime. Une vraie rencontre avec le metteur en scène Arthur Nozicielles qui a donné à chacun des comédiens la sensation d’être utile au projet global. Plus que d’un personnage, on était en charge d’une partition, avec le même imaginaire en tête.

La reprise des Nuits Blanches aussi est un moment important pour toi.

Oui car avec ma jeune compagnie KGA (créée avec la comédienne Tamara Krcunovic et Florian Azoulay), on s’était dit qu’on allait retravailler ce spectacle pour le off (après l’avoir monté une première fois au Théâtre de l’Atelier avec Dominique Pinon,ndlr) et montrer que cette nouvelle de Dostoïevski était différente du reste de son oeuvre, avec ce qu’elle avait de poétique, de glamour, de romantique. Faire une adaptation plus classique et une mise en scène plus populaire. Un exercice de style en quelque sorte. Cette fois-ci, je jouais dedans, dans cette rencontre de deux jeunes gens au premier degré. Tout était réduit en une seule nuit, en temps réel et ça a énormément plu.

J’étais très attaché à cette histoire et j’avais envie en montant ce spectacle de tordre un peu le coup à mon début de carrière de comédien « romantique ». Et c’est vraiment une réflexion autour du romantisme: est-ce que le romantisme doit être vécu ? Est-ce que la réalité est toute autre ? Pour Dostoïevski, il ne faut pas rêver: quelqu’un qui rêve est quelqu’un qui n’est pas utile à la société. Sa vision est un peu dure mais elle est très vivifiante aujourd’hui.

NB: Un grand merci à Xavier Gallais pour sa disponibilité et à Mireille Ampilhac pour ses superbes photos du festival de Grignan.

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