Critique théâtre : L’Ombre
C’est aussi dans les petites salles que se cachent les pépites de cette rentrée théâtrale particulièrement riche, selon moi. Dans la salle intimiste du Studio Marie-Bell, appartenant au Théâtre du Gymnase, se joue tous les week-ends le destin surprenant d’une desperate housewife pas comme les autres…
Ce « seule en scène » au goût si étrange a été mitonné par Alma Brami, jeune romancière talentueuse dont c’est ici la première œuvre pour le théâtre. C’est pour le festival de théâtre Le Paris des Femmes qu’elle avait initialement pensé à ce récit mais dans une première version de 20 minutes.
Son héroïne, après 37 ans de mariage, tandis que le sacro-saint poulet du mardi cuit dans son jus, se remémore sa vie avec Georges, son époux. Le portrait de ce dernier à mesure qu’il se fait plus précis, se révèle également de plus en plus inquiétant. Derrière cet homme qui ne vit que pour lui, il y a celle-ci justement, qui vit dans l’ombre… de sa propre vie.
Un cri dans la nuit
L’écrivain Alma Brami s’est souvent attaché à explorer la souffrance de ses personnages, victimes de diverses formes d’oppression et souvent acculées à une extrême solitude. Un de ses romans commençait, en effet, ainsi : « Il faut beaucoup d’amour pour devenir une ombre. »
L’héroïne de L’ombre n’existe plus depuis bien longtemps et l’amour qui l’habitait initialement s’est transformé en toute autre chose. Si glaçant soit ce récit, il est toutefois ponctué de nombreux instants de poésie et d’humour, comme ceux où l’héroïne sort faire des courses et badine avec le marchand de légumes.
Dédeine Volk-Leinovitch donne, avec beaucoup de justesse et d’émotion, chair et voix à cette femme, en apparence aussi ordinaire que sa robe-tablier rouge (couleur sang). Une performance de comédienne à saluer à travers ce personnage qui, malgré son extrême solitude physique, a une vie intérieure très riche.
La mise en scène de Dimitri Rataud, avec peu de moyens, utilise toutefois ingénieusement accessoires, éclairages, lieux (la configuration de la salle s’y prête à merveille) et musique pour accompagner le destin de son héroïne et nous transmettre intacte toute la palette de ses émotions.
L’Ombre est une œuvre singulière mais qu’il faut entendre et voir car le texte comme le jeu impressionnent fortement. Un cri dans la nuit dont on ne doit pas se détourner.
L'Ombre de Alma Brami Avec Dedeine Volk-Leonovitch Mise en scène de Dimitri Rataud Du 5 octobre au 29 décembre, samedi à 20h30 et dimanche à 15h Studio Marie-Bell Théâtre du Gymnase 38, bd Bonne Nouvelle Paris 10ème Réservation : 01 42 46 79 79 - www.theatredugymnase.paris Crédits photo : Esprit Paillettes