C’est au Théâtre de l’Union à Limoges que la pièce de Tchekhov, Oncle Vania, mise en scène par Pierre Pradinas a été créée et présentée pour la première fois, en ce mardi 9 décembre dernier. Elle précède une semaine de représentations à Limoges puis une belle tournée de janvier à mars prochain. La particularité de cette mise en scène est de développer principalement la dimension comique de la pièce, faisant ressortir plus que jamais la complexité psychologique et la poésie de l’écriture tchekhovienne, la rendant plus accessible aussi.

Pierre Pradinas a confié la distribution à des comédiens avec qui il a travaillé à plusieurs reprises. Et bien sûr, ce n’est pas un hasard. Oncle Vania met, en effet, en scène une famille recomposée mais par définition, constituée de personnages qui se connaissent depuis longtemps et de personnages qui se découvrent.

Sur scène, on a bel et bien cette sensation de liens invisibles, de conflits intérieurs, de non-dits, de mouvements de surprise ou de déception entre les membres de cette étrange famille et dont Vania en est le cœur battant.

On rappelle l’histoire en quelques lignes : Vania vit à la campagne, dans la propriété de sa défunte sœur, avec sa mère, sa nièce Sonia et quelques amis. Son beau-frère, le vieux professeur Serebriakov, accompagné d’Elena, sa seconde et jeune épouse, décide de s’installer dans la maison et va bouleverser leur vie quotidienne…

C’est Romane Bohringer qui incarne la belle, jeune et insaisissable Elena. La richesse de sa présence sur scène, les nuances de sa voix, l’élégance naturelle de son allure jusqu’au choix de ses tenues vestimentaires chics et fluides sont au service de cette belle figure féminine du théâtre tchekhovien, emprisonnée dans ce mariage qui la fait souffrir intimement, maladroite dans ses relations avec son entourage proche, ne sachant à peine reconnaître ses propres désirs et encore moins les assumer…

Vania est incarné avec maestria par Scali Delpeyrat. Ce dernier insuffle à son personnage une rare énergie comique qui surprend au premier abord mais qui se teinte aussi rapidement d’une ironie mordante voire amère à mesure que l’intrigue évolue. Mais on est aussi frappé de voir combien en faisant ainsi incarner ce personnage de Vania avec cette constance dans humour et dans la légèreté, l’échiquier tchekhovien s’organise alors différemment : les personnages secondaires comme ceux de Sonia ou d’Astrov et même le vieux professeur Serebriakov dévoilent avec plus d’acuité leurs propres enjeux psychologiques.

Pierre Pradinas a travaillé aussi à déjouer nos propres projections mentales des personnages : Elena n’a rien d’une blonde éthérée, Sonia n’est pas « moche », le médecin Astrov (Matthieu Rozé) ne sera pas ce « bellâtre » attendu. Les nuances psychologiques ressenties par chacun en ressortent plus accessibles. En dehors de ces conversations familiales surprises dans leur quotidien, on est frappé aussi par la sérieuse question écologique que Tchekhov, homme résolument moderne, pose à la société de son temps.

Par ailleurs, le décor et les costumes sont comme l’étude de caractères de Tchékhov, intemporels. Il y a bien sûr cette grande propriété familiale, proche de la nature, qui s’ouvre et se referme à loisir grâce à un ballet d’hommes de l’ombre bien orchestré, permettant de faire ressortir sur le plateau toutes les nuances psychologiques et tout l’humour caché de Tchekhov.

Le texte n’en est que plus pur et émouvant et la profonde amertume finale des personnages se teinte aussi d’une imperceptible allégresse et qui confère à ce final une rare émotion.