Entretien avec la comédienne Isabelle Carré

Généreuse, subtile, délicate, enthousiaste, passionnée, les adjectifs ne manquent pas pour décrire Isabelle Carré, prochainement à l’affiche de la réjouissante comédie de Marie Belhomme (Les Chaises musicales). Rencontrée récemment à l’occasion du Festival de Cabourg, Isabelle Carré évoque pour nous Perrine, ce singulier personnage de comédie, délicieusement décalé, qu’elle interprète avec panache.

C’est une belle partition à jouer que ce personnage de Perrine, décalé, qui n’a pas vraiment encore trouvé sa place, avant de passer le cap de la quarantaine. On la sent pétrie de doutes…

Un moment, Marie (Belhomme, la scénariste et réalisatrice, ndlr) avait pensé à appeler le film « Les Gens qui doutent » comme la chanson d’Anne Sylvestre. C’est une chanson très émouvante. Je n’avais pas beaucoup à me forcer quand les gamins la chantaient. A une époque, où il faudrait qu’on soit toujours dans la performance (on a des coachs, « il faut assurer », etc), finalement s’avouer que les doutes peuvent même amener du charme et de la délicatesse, une poésie… Je trouve que les personnages sont beaux dans leur humilité.

C’est un discours qui me touche. J’aime bien cette discrétion, cette façon d’avancer comme sur des œufs dans la vie, de ne pas vouloir blesser quelqu’un, d’avoir cette culpabilité-là. C’est une forme de délicatesse dans les sentiments, dans les émotions.

Perrine, au fond, est à l’image de la petite souris avec qui elle cohabite, elle ne fait pas de bruit…

Ces personnages sont héroïques, en essayant d’aller à contre-courant de leur humilité, d’essayer quand même de se faire une place dans la vie. Les Chaises Musicales, c’est un très beau titre aussi parce qu’effectivement, c’est difficile de trouver sa place dans ces cas-là. On n’est pas à écraser les autres.

Dans cette discrétion et cette humilité, cela prend plus de temps, c’est plus difficile. Ça me faisait aussi penser au film « Quand j’étais chanteur » de Xavier Giannoli, où le héros est chanteur de bal, il n’y a rien de reluisant, on pourrait penser qu’il a d’autres ambitions. Il essaie d’en avoir d’autres pour correspondre à un modèle social, aux gens autour de lui qui le poussent à être plus ambitieux, à se réaliser (comme on dit). Et en fait, non, sa place c’est essayer de faire des bals populaires et c’est là qu’il se sent bien, qu’il se sent utile.

Ça me touche ce côté « non ambitieux » pour certains personnes et en fait leur ambition c’est simplement, par exemple pour Perrine de faire du bien avec son violon à des retraités, de faire rire les enfants dans des anniversaires. Pour certains, ça pourrait être une vie un peu ratée, pas très brillante mais elle, elle est bien là.

Au début elle se sent « presque »…

« Presque tout », oui ! (rires) Elle se sent un peu bancale et maladroite et je la trouve en fin de compte, pleine de finesse, pleine de délicatesse. Son chemin est juste, c’est le sien. J’aime bien l’idée qu’on montre d’autres modèles que ceux de conquérants, de gens qui ont réponse à tout, qui ont le sens de la répartie. C’est chouette d’avoir des héros un peu dans cette sensibilité-là au cinéma.

Comment lisez-vous un scénario ?

En général, à moins d’être dans ma bulle de tournage, je réponds assez vite. Je n’ai pas de réflexion sur « qu’est-ce que j’ai fait avant ? », « qu’est-ce qu’il faudrait que je fasse maintenant ? », « est-ce que ça va faire des entrées ? » Bref, ce n’est pas dans ce genre de calculs-là.

Souvent, je demande à mon agent ce qu’il en pense aussi. Ça m’apporte beaucoup parce qu’il a une autre lecture, plus objective, et après, je rencontre les gens, en me demandant si on va être bien ensemble. Peut-être que ça peut manquer d’ambition, comme mon personnage mais je préfère avant tout me sentir bien avec les gens avec qui je vais travailler.

Comment justement s’est passée votre rencontre avec Marie Belhomme ?

Merveilleusement bien parce que Marie est le portrait-craché de son héroïne, Perrine. C’est elle qu’elle a écrit. D’ailleurs, un moment donné, elle pensait peut-être le jouer. Quand je l’ai rencontrée, j’étais enceinte et je l’ai reçue chez moi. Elle était très embarrassée, elle se sentait dans quelque chose de pas du tout légitime de me proposer ça. Et je l’ai rassurée. Je lui ai dit : « Mais non, le scénario est super ! J’ai envie de le faire, etc. » Et du coup, elle était pleine d’émotion, de reconnaissance, de rougeur en même temps (rires). Ça ne m’a pas fait douter. Je me suis dit qu’elle connaissait bien son sujet. Elle m’a même apporté une couverture que sa maman avait tricoté pour mon bébé. C’est spécial ! (rires). Ça ne faisait pas trop « réalisateur parisien qui a besoin de convaincre un acteur ».

Le film a tout de même pris un peu de temps à se monter…

Mais pas tant que ça finalement ! Pour un premier long, c’est chouette parce que ça n’est pas facile. Il faut rendre à César ce qui appartient à César, Daniel Goudineau de France 3 nous a beaucoup aidé. Après, je pense que le scénario était bien écrit. On se base quand même tous là-dessus. Vous me demandiez au départ les raisons de choisir un scénario : l’écriture c’est notre matériel principal.

Pendant le tournage, avez-vous rajoutez des petits éléments, des scènes, etc ?

Oui, un petit peu. Le tournage a duré un mois et demi. Je me suis très bien entendue avec mes partenaires Philippe Rebbot et Nina Meurisse. C’est vraiment deux supers acteurs. On a improvisé mais pas tant que ça. Mais Marie nous laissait quand même assez libres.

Il y avait aussi le personnage incarné par Carmen Maura…

Tout à fait. J’avais déjà travaillé avec Carmen sur un film que personne n’a vu, improbable, « Super Love », sorti il y a quelques années. Si on fait des soirées « films inavouables », je pense que celui-là est dans mon « top one » ! (rires) Avec Grégoire Colin, Carmen Maura, Luis Rego… Je m’étais déjà super bien entendue avec Carmen et j’étais vraiment heureuse de la retrouver.

Est-ce que vous avez d’autres projets de films ?

J’ai beaucoup de films qui vont sortir. Je n’ai pas fait exprès mais les films se sont décalés tous et du coup, il y a eu un embouteillage mais ce n’était pas du tout dans l’idée d’enchaîner les films. J’avais peur qu’il y ait un film de trop mais je tenais à respecter mes engagements et ça s’est finalement très bien passé.

J’ai retrouvé Philippe Rebbot l’été dernier lors d’un tournage du film des frères Larrieu, avec Karin Viard, André Dussollier, Denis Lavant et ça va sortir en novembre « 21 nuits avec Pattie ». J’ai adoré travailler avec les frères Larrieu. J’ai énormément appris avec eux. Ils sont tellement merveilleux et il faut les soutenir parce qu’ils ont vraiment leur singularité, leur originalité. C’est des fous de cinéma, des gens qui ne vivent que pour ça, qui filment de façon extraordinaire. Je suis dithyrambique en parlant d’eux. C’était difficile même de les quitter.

Il y a un autre film, d’Anne Giafferi, adapté d’une pièce de théâtre de Murielle Magellan.

Un autre film aussi « Paris-Willoughby » avec Alex Lutz, Stéphane de Groodt et Jospéhine Japy que je retrouvais pour la deuxième fois après le film « Respire ».

J’ai été au Japon tourner le film d’une réalisatrice belge, une coproduction belge-canadienne et française, d’après un roman d’Olivier Adam qui s’appelle « Le Cœur régulier ». On a passé trois semaines à Sète et un mois au Japon. C’était une vraie expérience pour moi qui ne suis pas une voyageuse, d’autant plus !

Est-ce que vous allez rejouer prochainement au théâtre ?

Peut-être, ce n’est pas encore sûr, en décembre. Normalement oui, parce que ça me manque ! Je me suis rendue compte qu’en fait, depuis que j’ai commencé à 17 ans (j’ai 44 ans), je me suis toujours arrangée pour faire du théâtre tous les un an et demi grand maximum ! Et là, ça va faire trois ans et demi que je n’en ai pas fait et ça me manque beaucoup. Ça me fait du bien de jouer pour des gens,  de sentir qu’on échange vraiment.

Parce que parfois au cinéma, l’instant est merveilleux, on joue aussi pour l’équipe mais après ça ne nous appartient plus : la façon dont les gens le recevront, les journalistes, on est comme coupés de tout ça (même si la promo nous reconnecte un tout petit peu mais d’une façon particulière).

Alors que jouer pour des gens, au théâtre, c’est un vrai bonheur. Quand ça se passe bien (parce que parfois ça peut être très chiant au théâtre si c’est très long ; on peut jouer 100 représentations et presque avoir une claustrophobie d’y retourner tous les jours). Mais si ça se passe bien, c’est une drogue ! Un plaisir incroyable ! On vole, on flotte ! C’est l’impression comme pour les footballeurs de marquer tous les buts, c’est de l’ordre de cette intensité-là !

Rencontre réalisée à l’occasion du Festival du Film de Cabourg, le samedi 13 juin 2015.
Les Chaises Musicales, avec Isabelle Carré, Carmen Maura, Philippe Rebbot, écrit et réalisé par Marie Belhomme, sortie le 29 juillet 2015.
Portrait : Crédits photo- Isabelle Vautier.
Photos du film: Bac Films Distribution.

 

 

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