L’explosion des codes

Salle Richelieu, en ce moment au Français, Guy Cassiers signe une adaptation des Démons de Dostoïevski qui va faire couler beaucoup d’encre. 

Guy Cassiers, passionné de littérature, n’en n’est pas à sa première adaptation théâtrale. Il s’est entouré de toute une équipe technique belgo-néerlandaise, venue ici apporter tout son savoir-faire tant visuel, sonore que scénographique. Et il faut ici souligner combien ce travail conjoint est crucial, sans cesse inventif. En un mot, étourdissant.

Dans la Russie du XIXème siècle, deux générations se donnent la réplique sans jamais vraiment s’écouter. Il y a la première, celle incarnée par Varvara Stavroguina (Dominique Blanc, joyeusement cynique et manipulatrice) et Stépane Verkhovenski (Hervé Pierre, parfait en intellectuel has been) ; et celle de la jeune génération composée de jeunes femmes (à noter ici la belle composition de Claïna Clavaron, petite nouvelle dans la troupe) souvent désespérées par le carcan dans lequel la société bourgeoise de l’époque les emprisonne. Mais aussi et c’est le cœur de l’intrigue, ce groupe de nihilistes avec à sa tête, Piotr (Jérémy Lopez, génial dans son rôle de manipulateur sans foi ni loi), le fils de Stépane, et le charismatique mais énigmatique Nikolaï, fils de Varvara (Christophe Montenez, au charme bien inquiétant) que Piotr tente de rallier à sa cause. Ce sont toutes les angoisses politico-philosophiques de Dostoïevski qui sont ici incarnées par l’existence de ce groupe à l’avenir incertain.

Un vrai attentat dramaturgique

Dans une cacophonie dramatique composée dans les moindres détails, Cassiers cherche avant tout à faire entendre toutes les voix de ses personnages.

D’où l’utilisation très perturbante de ces trois grands écrans au milieu du plateau. Ainsi, les personnages semblent s’y écouter avec une rare attention, se faire face, tandis que sur le plateau, bien au contraire, en total décalage, les comédiens ne se regardent jamais et tournent le dos au public. En soi, un paradoxe surprenant : une connexion de tous les instants entre les comédiens est nécessaire pour mieux incarner justement cette absence totale et glaçante de communication. Un ouvrage millimétré dans l’expression du visage, ce masque social qui se fissure parfois et que scrute tout cet impressionnant déploiement de caméras.

Une mise en scène cinématographique, donc ? Pas vraiment, en fait. Le récit filmé est ici détourné pour servir avant tout le récit théâtral, en totale explosion. Un vrai attentat dramaturgique qui vient challenger le spectateur. A ce dernier de recomposer les liaisons dangereuses vécues par chaque personnage.

Glaçant. Perturbant. Vibrant.

Les Démons

D'après Fiodor Dostoïevski

Adaptation d'Erwin Mortier, traduction de Marie Hooghe

Mise en scène de Guy Cassiers

Avec la troupe de la Comédie-Française.

Salle Richelieu du 22 septembre 2021 au 16 janvier 2022.

Photo © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

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