Rencontre avec Lucas Belvaux et Emilie Dequenne autour du film Pas son genre

C’est dans les locaux du distributeur du film, Diaphana, qu’une rencontre avait été organisée avec le réalisateur Lucas Belvaux et la comédienne Emilie Dequenne autour du film Pas son genre. L’occasion de  parler à nouveau de ce film singulier et touchant que je vous recommande vivement et qui sort en salles le 30 avril prochain.

Pas son genre, c’est d’abord un roman, signé Philippe Vilain. A ce propos, Emilie Dequenne précise qu’elle n’a pas lu le livre, préférant axer son travail uniquement sur le scénario « déjà très riche en soi ». Lucas Belvaux, d’ajouter : « L’essentiel du film est dans le livre et en même temps, j’ai essayé de m’approprier le livre. Pour cela, il fallait se détacher de son style (le livre est écrit à la première personne du singulier), de cette sorte d’autofiction où le personnage de Jennifer n’était vu seulement qu’à travers Clément (prénommé François dans le livre).

Pour en savoir plus sur le travail d’adaptation, j’ose demander (d’une petite voix) des éclaircissements sur les premières scènes du film, introduisant l’univers de Clément, professeur de philo parisien, soudain obligé d’enseigner à Arras, ce qui équivaut pour lui au bagne : « Dès la première scène, on doit comprendre le personnage en cinq images, à travers ses vêtements, les femmes qu’il fréquente. Le roman quant à lui développe surtout le thème de l’indécision ».

« Mon indécision a ceci de singulier qu’elle concerne seulement le domaine affectif, mon raport aux femmes, l’engagement, la difficulté à me déterminer en faveur de l’une d’entre elles », lit-on dans les premières pages du roman. La scène initiale du film de Belvaux montre Clément se séparant d’une conquête féminine que l’on devine énième avec pour particularité ce mélange d’indifférence et de lassitude face à la situation, tranchant avec le désespoir de la jeune femme qui se trouve obligée de le quitter.

Dans le roman, la cruauté du personnage est comme revendiquée par ce dernier : « Une femme est tombée en dépression parce que je ne me décidais pas, une autre a fini par me tromper, une autre encore, que j’avais mise enceinte, a avorté pour ne pas mettre au monde un orphelin. »

Une histoire d’amour asymétrique

A propos de ce qui unit les deux personnages principaux, Lucas Belvaux souligne que Clément et Jennifer se retrouvent en particulier autour de la littérature. Mais dans le fait que Clément aime lire des livres à Jennifer renouant très vite avec son statut de professeur, la relation est d’emblée asymétrique.

De même que socialement Clément, à 37 ans, est en pleine ascension tandis que Jennifer à 32 ans, se sent plutôt sur le déclin. « Quand Clément est avec Jennifer, il est vraiment avec elle, content de lui faire plaisir mais en même temps, il ne peut s’empêcher d’être condescendant, bref, il marche constamment sur des œufs. Loïc Corbery, qui interprète Clément, dégage cet aspect de bonne éducation, bourgeois, qui doit constamment « garder la face ». Notre travail commun a été de faire passer les fêlures de son personnage, à travers des gestes, des regards volés. »

Toujours dans cette idée d’asymétrie, le personnage de Jennifer par rapport à celui de Clément, décrit par son interprète est « pleine de vie, sympathique, jamais ridicule ni caricaturale. Dans les scènes de karaoké, j’ai joué mon personnage pas comme si je devais chanter parfaitement mais simplement montrer le plaisir et le travail que représente ce genre de prestation pour Jennifer quand elle monte sur scène avec sa robe à paillettes (qui me grattait terriblement) en compagnie de ses amies coiffeuses. Pour composer ce personnage, je l’ai fait de la même façon que pour mes autres rôles, je recherche l’état global latent du personnage, son énergie… – Je trouve que tu n’es pas uniquement dans cette recherche-là, l’interrompt Lucas Belvaux. Il y a pas mal de « faux acteurs » qui ne pensent qu’à rechercher l’état de leur personnage en ne mettant en exergue que ses points communs avec le personnage et ils ne contrôlent plus rien du tout. – En fait, ajoute Emilie Dequenne, j’ai besoin de connaître ma partition avant le tournage et je trouve que ce film spécialement est libérateur car sur l’amour dont il traite, le constat du film n’est pas nécessairement pessimiste : l’amour est quelque chose d’extrêmement fragile et le désir ne suffit pas. Mais il apparaît ici que c’est un travail que de vivre en couple, tout n’est pas gagné. »

Pas son genre 
Un film de Lucas Belvaux
Adapté du roman de Philippe Vilain (éditions Grasset et Fasquelle)
Avec Emilie Dequenne, Loïc Corbery…
Sortie le 30 avril 2014

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