Critique théâtre: Le Misanthrope

Somptueuse est la mise en scène du Misanthrope par Clément Hervieu-Léger, en ce moment dans la maison de Molière ! Raffinement, émotions fortes mais surtout un sacré dépoussiérage du personnage d’Alceste, des raisons de sa profonde misanthropie. Il fallait aussi oser confier le rôle-titre à un comédien résolument plus jeune que de coutume (Loïc Corbery), s’attarder enfin sur le sens profond du sous-titre de la pièce « L’atrabilaire amoureux »…

La force de cette mise en scène réside peut-être dans la façon d’aborder la misanthropie d’Alceste, passées les considérations sur son âge. Molière, lui-même, à la fin de sa vie, n’avait-il pas pensé confier le rôle au jeune comédien Baron (alors âgé de 19 ans) de sa troupe ?

Clément Hervieu-Léger s’est en effet penché sur les véritables raisons du comportement d’Alceste. Elles sont peut-être à mettre en relation avec Molière lui-même qui écrit cette pièce, en pleine querelle avec son grand ami Racine qui vient de le trahir, en donnant sa tragédie Alexandre le Grand à l’Hôtel de Bourgogne, le théâtre rival de celui de Molière, après l’échec de sa création par ce dernier.

En ce sens, le comportement profondément révolté d’Alceste s’explique par ce douloureux constat de trahison, commise par cet « ami » qui lui intente un procès.

La double peine

Alceste, vit donc cette journée, tenaillé, torturé, dans la double attente d’un verdict (celui du procès et celui qu’il fait à Célimène, cette charmante coquette, jeune veuve qui ne semble pas encore prête à s’engager). Loïc Corbery incarne avec beaucoup de nuances l’humeur décidément changeante de son personnage, accablé par l’attente de ce double verdict, cette double peine.

Sur le plateau, il ne peut se fixer, ne peut se calmer malgré la présence bienveillante de son ami Philinte (Eric Ruf, toujours juste). C’est un état nerveux intensément physique que se propose d’explorer ici Loïc Corbery, une forme aigüe de dépression, mais qui laisse entrevoir aussi l’humour et le sentiment amoureux bien vivace qui habite son personnage.

A ce propos, cette relecture du personnage nous fait aussi penser aux personnages romantiques de Musset, dans cet état amoureux si tourmenté, entre morale et sentiments. Les passerelles entre Alceste et Perdican existent bel et bien, semble nous montrer cette mise en scène riche en références et lectures multiformes.

Eric Ruf, qui signe aussi les décors, a judicieusement voulu placer l’intrigue du Misanthrope dans ce palier d’un riche hôtel particulier parisien, entre deux étages, entre deux époques, lieu intermédiaire, propice au mouvement, aux confidences mais aussi à l’idée d’une forme d’antichambre de salon, tenu ici par Célimène, où ce microcosme de l’aristocratie parisienne, championne des faux-semblants, se plaît à se retrouver. Le décor est là pour suggérer par sa facture luxueuse, la magnificence des autres pièces, de la cour intérieure, le dédale des couloirs, escaliers, etc.

La troupe porte des costumes d’une véritable élégance sans pour autant céder à la coutume de porter des costumes rendant hommage au XVIIème siècle, à une lecture sociologique plus historique. Clément Hervieu-Léger a, en effet, préféré choisir des costumes plus modernes, bien que non contemporains pour montrer combien le sentiment qui habite constamment Alceste dans le moindre de ses mouvements est intemporel et donc proche de nous plus que jamais, voire tangible.

Le Misanthrope de Molière
 
Mise en scène de Clément Hervieu-Léger
Avec Yves Gasc, Eric Ruf, Florence Viala, Loïc Corbery, Serge Bagdassarian, Gilles David, Georgia Scalliet, Adeline d’Hermy, Louis Arene, Benjamin Lavernhe et les élèves-comédiens de la Comédie Française Heidi-Eva Clavier, Lola Felouzis, Pauline Tricot, Gabriel Tur, Matej Hofmann, Paul Mc Aleer.
 
Scénographie: Eric Ruf
Costumes: Caroline de Vivaise
Lumière: Bertrand Couderc
Musique originale: Pascal Sangla
Réalisation sonore: Jean-Luc Ristord
Cration coiffures: Fabrice Elineau
Assistante à la mise en scène: Juliette Léger
Assistante à la scénographie: Dominique Schmitt
 
Crédits photos: © Brigitte Enguérand
 
Comédie Française
Représentations à la Salle Richelieu, en alternance
Réservation au 0825 10 16 80 ou sur le site web: www.comedie-francaise.fr

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