Théâtre : Des Anges au Français

Angels in America à la Comédie Française, c’est l’histoire d’un pari fou, celui d’Arnaud Desplechin, plus connu pour sa casquette de cinéaste que de dramaturge, qui s’attaque à une œuvre folle, subversive, poétique, tragique et drôle à la fois avec pour décor l’Amérique puritaine des premières années SIDA.

Mon premier contact avec une pièce est toujours en lien avec le travail des acteurs et je suis depuis plusieurs années déjà celui de celles et ceux qui composent cette formidable troupe du Français. En ce 23 janvier 2020, je sais qu’à nouveau Michel Vuillermoz, Dominique Blanc, Clément Hervieu-Léger, Christophe Montenez, Jérémy Lopez, Florence Viala vont, entre autres, me transporter.

Transporter justement à la manière des anges de ce récit, de façon surprenante, comme cet Ange incarné par Florence Viala, drôle et inquiétant à la fois qui surgit du ciel sans crier gare. Ainsi je suis sensible à la très séduisante forme de pureté qui se dégage de Joe Pitt, le jeune avocat à la sexualité incertaine et à l’éducation religieuse forte comme le roc (incarné avec beaucoup de justesse par Christophe Montenez). Mais aussi à la truculence d’un immense Michel Vuillermoz qui joue Roy Cohn, l’avocat d’affaires véreux (qui aurait servi de modèle à Trump) dans toutes les flamboyances de son amour immodéré de la transgression.

Tandis que Dominique Blanc incarne jusqu’à six personnages (un vrai challenge !) et nous régale dès les premières minutes ; c’est le couple malmené que forment Jérémy Lopez et Clément Hervieu-Léger qui m’interpelle le plus. Il raconte bien plus qu’un témoignage de malade ou le récit d’un amour maudit. L’amour entre ces deux personnages est présent du début à la fin de l’intrigue. Il y a le courage, l’humour et une surprenante connexion avec le divin qui caractérisent Prior et Clément Hervieu-Léger l’incarne avec toute la délicatesse de son âme d’homme de théâtre.

Un très beau travail de troupe et de machinistes

Mais le personnage de Louis, campé avec une totale sincérité de jeu par Jérémy Lopez, est tout autre. C’est le personnage probablement le plus humain, le plus faillible de tous. Il a peur de la maladie et la fuit au risque de perdre le grand amour, c’est-à-dire tout pour lui. Égoïste, lâche, il va pourtant singulièrement évoluer. Il représente selon Arnaud Desplechin la figure-même de l’auteur.

Jennifer Decker qui incarne la jeune épouse fragile de Joe Pitt bouleverse également. Ses hallucinations interpellent et son étrange connexion avec le personnage de Prior ajoute une note de mystère importante à l’ensemble. Cette pièce raconte justement les liens indicibles qui relient les êtres humains les uns aux autres, comme une autre expression de divinité. Et il n’y avait pas de meilleure troupe pour jouer sur ce registre de chaleur, de proximité humaine, de forme d’intimité.

Les scènes où les anges se réunissent ont été réduites mais conservent de leur puissante étrangeté et poésie. Ils sont incarnés par les comédiens qui jouent les autres personnages du récit, ce qui rend ces êtres divins plus humains que jamais.

La mise en scène de Desplechin surprend par ses « fondus enchaînés », ces innombrables tombés de rideau qui parsèment la narration laissant au spectateur la découverte de décors toujours audacieux même si cette forme de mise en scène se révèle peut-être un peu répétitive et nécessite un timing infernal auprès des machinistes.

Angels in America est le fruit du travail d’un homme passionné de théâtre et investi par son sujet. Si quelques minutes dans l’enchaînement des scènes et des décors sont encore à soustraire, Arnaud Desplechin et sa troupe ont pourtant réussi leur pari !

Angels in America de Tony Kushner

Texte français : Pierre Laville
Version scénique et mise en scène : Arnaud Desplechin
Scénographie : Rudy Sabounghi
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumière : Bertrand Couderc
Son : Sébastien Trouvé
Collaboration artistique : Stéphanie Cléau
Assistanat à la scénographie et à la vidéo : Julien Soulier
Assistanat aux costumes : Magdaléna Calloc’h

Avec : Florence Viala, Michel Vuillermoz, Jérémy Lopez, Clément Hervieu-Léger,

Christophe Montenez, Jennifer Decker, Dominique Blanc, Gaël Kamilindi 

Comédie Française, en alternance, salle Richelieu jusqu'au 27 mars
Photo de © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

 

Post A Comment