Critique cinéma: Frantz de François Ozon

Très beau film sur le parcours initiatique d’une jeune allemande, au sortir de la première guerre mondiale, Frantz permet à François Ozon de nous dévoiler toute une palette de sentiments subtils, dans un contexte historique méconnu, en même temps qu’il le traduit par un superbe travail de l’image, entre noir et blanc léché et technicolor organique en 35 mm. Une vraie pépite de cinéma.

Le passé, le présent. La guerre perdue, la paix apparemment retrouvée. La vérité, le mensonge. L’amour, la désillusion. La renaissance amoureuse, la dépression. Dans Frantz, le curseur psychologique oscille en permanence entre les deux pôles extrêmes avec de nombreuses fausses pistes et twists inattendus. Les personnages mentent et se mentent à eux-mêmes, rendant l’intrigue encore plus palpitante.

En adaptant le film méconnu de Lubitsch, Broken Lullaby, François Ozon se réapproprie pleinement cette histoire sur le mensonge à la force romanesque indéniable. Il choisit de la reconstruire à travers le point de vue de l’héroïne et non plus du héros. L’histoire se passe dans l’Allemagne puis dans la France de 1919, faisant s’entrechoquer deux cultures et deux conceptions de cette guerre profondément meurtrière et inutile.

Anna, l’héroïne, incarnée par la bouleversante Paula Beer (une vraie révélation dans le film), vient chaque jour fleurir la tombe de Frantz, son fiancé mort à la guerre. Ils se sont aimés au sortir de l’enfance, se promettant un amour éternel.

La caméra de François Ozon filme Anna, en mouvement, dans son chemin quotidien et mortifère vers le cimetière. Soudain, elle rencontre Adrien (Pierre Niney, impeccable), ce jeune Français mystérieux qui se présente comme l’ami de Frantz. Et soudain aussi, la vie brusquement refait surface. Et symboliquement à l’image, l’austère noir et blanc, par petites touches, se transforme en de splendides instants technicolor (bel hommage aussi à la peinture romantique allemande). Comme si la vie prenait le pas sur la mort, la réalité sur le fantasme.

Frantz

Incandescent mensonge en 35 mm

Il y a toujours un vrai travail de l’image chez François Ozon (qui n’hésite pas à cadrer lui-même ses films) doublé d’une vraie réflexion sur la façon de raconter au mieux son histoire. Il faut dire qu’ici, le point de vue de l’Allemagne défaite, au sortir de la première guerre mondiale, a été rarement montré au cinéma.

François Ozon soulève donc cette forme de tabou historique et montre cette génération de pères allemands traumatisés d’avoir envoyé à la mort leurs fils, souvent au demeurant profondément pacifistes. Ernst Stötzner incarne avec beaucoup de gravité, de charisme et de sensibilité le père de Frantz, heureux brusquement, au contact d’Adrien, de (re)vivre des moments méconnus de la vie de son fils, donnant alors un nouveau sens à la sienne.

Le personnage d’Adrien est raconté à travers le regard plein de curiosité puis de désir d’Anna. Pierre Niney joue habilement la confusion des sentiments que son personnage éprouve ou suscite. C’est un personnage écrit en symétrie avec celui d’Anna à de nombreux égards. Mais ne révélons pas ici son secret. D’autres personnages intrigants parsèment le grand voyage initiatique que va emprunter avec beaucoup de volonté Anna. Cette émancipation féminine, une fois de plus, la caméra d’Ozon parvient à en capturer toutes les subtilités.

Enfin, Frantz est aussi pour Ozon une façon de mettre en scène l’art (la peinture, l’écriture épistolaire et la musique sont à de nombreuses reprises mis en scène), ici incandescent mensonge en 35 mm, qui nous aide à mieux savourer la vie.

Pierre Niney, que nous avons rencontré dans le cadre d’une projection privée, en compagnie de François Ozon et de Paula Beer, concluait ainsi la rencontre : « J’aime l’idée dans ce film que l’art, sous toutes ses formes (correspondance épistolaire, musique, peinture) soit ici un lien constant entre les nationalités, les cultures y compris les vivants et les morts. «

Frantz

De François Ozon

Avec Pierre Niney, Paula Beer, Ernst Stötzner, Marie Gruber, Cyrielle Clair,…

 En salles le 7 septembre.

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