Rencontre avec le comédien Guillaume Bienvenu

A l’occasion de la pièce Je l’appelais Monsieur Cocteau jouée au printemps dernier au Studio Hébertot, nous avons rencontré le comédien Guillaume Bienvenu qui incarne Jean Cocteau aux côtés de Bérengère Dautun. Cette dernière signe également l’adaptation du livre très touchant de Carole Weisweiller, racontant sa rencontre amicale puis quasi filiale avec le célèbre poète. Une rencontre toute en sincérité.

Es-tu issu d’une famille d’artistes ?

Pas du tout. Mon père est prof et ma mère bossait dans les RH, dans l’information, avant de devenir praticienne de shiatsu. Mais mes grands-parents paternels étaient des artistes : ma grand-mère était peintre et prof de français et mon grand-père était sculpteur, peintre et prof de physique.

Quand la comédie s’est mise à te titiller ?

Je m’en souviens très clairement. Quand j’avais huit ans, mes parents m’ont emmené au Conservatoire du Kremlin-Bicêtre pour voir un spectacle pour enfants Les Lettres de Mon Moulin et en sortant, j’ai dit que je voulais faire du théâtre. Après, je me suis mis à faire du théâtre le mercredi ou le samedi après-midi jusqu’au lycée où j’ai pris l’option théâtre. C’était facultatif parce que j’étais en section scientifique. Et parallèlement, j’ai suivi des cours avec une femme qui s’appelle Christiane Casanova et qui m’a initié à toute l’approche de l’Actor’s Studio, Stanislavski et à une approche un plus professionnelle du théâtre.

Arrive le bac et les choix importants à faire, j’imagine…

Oui. J’ai eu mon Bac S et le deal avec mes parents, c’était que j’aille à la fac de Sciences où je fasse une licence, passe le CAPES et devienne prof avec comme sous-entendu « si t’es prof, t’auras tout le temps de faire du théâtre à côté ».

Je suis allé à la fac et au bout d’un mois, j’ai arrêté (rires). C’était un mercredi matin, je m’en souviens très bien. Je me suis dit : « Je ne peux pas y aller parce que je n’ai pas le temps de faire quand même du théâtre à côté. Ce n’est pas supportable. » Et le soir quand je suis rentré, mes parents m’ont demandé : « Tu n’es pas allé en cours ? – Non et je n’irais plus – Qu’est-ce que tu vas faire ? – Du théâtre ! – OK, mais tu prends des cours de théâtre de façon sérieuse. » Cette année-là, j’ai donc suivi plein de petits cours de théâtre et des stages. Et l’année d’après, je suis rentré au Conservatoire à Bourg-la-Reine où je suis resté jusqu’à la fin de l’année. En cours d’année, je suis allé voir Doit-on le dire mise en scène par Cochet au Tristan Bernard. J’ai adoré ça et je suis rentré au Cours de Cochet à ce moment-là.

J’y suis resté un peu plus de trois ans. Et après j’ai travaillé.

« J’ai décidé très vite de ne pas suivre de méthode, de ne pas être d’une seule école »

Comment a évolué ta conception du métier de comédien ?

Elle a forcément beaucoup évolué. Quand j’étais plus jeune, j’étais très influençable et à chaque fois que je changeais de professeur, je changeais de technique, de méthode…

J’ai décidé très vite de ne pas suivre de méthode, de ne pas être d’une école parce que j’ai trouvé mon compte à chaque fois dans chaque approche. Et surtout (mais peut-être que je me trompe car je suis encore au tout début de mon parcours), j’ai l’impression que c’est une erreur de vouloir plaquer une méthode. D’abord sur tous les acteurs et ensuite sur tous les théâtres. Ça me semble un petit peu illogique de dire qu’on va travailler exactement de la même manière sur Racine ou sur Lagarce.

Alors c’est vrai que comme je suis resté un peu longtemps chez Cochet, qui m’a énormément appris, je sais que j’ai pris un petit peu de temps à ne plus « faire du Cochet » et je crois que j’en fais encore parfois (rires)…

Et c’est quoi « faire du Cochet », justement ?

« Faire du Cochet », c’est une certaine manière de phraser, d’infléchir, de prendre de la distance aussi à un certain moment. C’est un théâtre aussi qui est très porté sur le verbe et pas trop sur le physique même si Jean-Laurent insiste beaucoup sur le fait que tout doit passer par le corps, les émotions, que le siège des émotions c’est le ventre. Ce n‘est pas du tout un théâtre physique comme le demande Lecoq, par exemple. C’est l’exact opposé. Ce sont surtout des inflexions que l’on retrouve aussi auprès de ses élèves. Enfin, ça n’est pas le cas de Depardieu, de Luchini… Ce que j’essaye de faire, c’est de me nourrir de ce qui me parle et après faire mon chemin.

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Quels sont déjà tes grands souvenirs de théâtre en tant que comédien ?

Ma première expérience fantastique, c’était une mise en scène de Cochet, Le Veilleur de nuit aux Bouffes Parisiens, ma première production dans des conditions professionnelles. C’était un rêve parce que c’était aux Bouffes Parisiens, que c’était du Guitry, etc.

Après véritablement ça été Roméo et Juliette où je jouais Roméo sous la direction du metteur en scène Philippe Boronad et Anne-Louise de Ségogne. Je n’étais pas vieux pour jouer Roméo et ils m’ont vraiment poussé dans mes retranchements.

Il y a quelques années, j’ai joué Tartuffe avec Claude Brasseur et Patrick Chesnais au Théâtre de Paris. Une expérience incroyable aussi parce que c’était Tartuffe avec deux grands acteurs. Je jouais Valère et donc j’avais une scène avec Emilie Chesnais avec qui j’ai beaucoup travaillé. J’ai appris beaucoup de choses sur cette pièce, notamment ce que c’est pour de grosses productions qui ne sont pas forcément des succès et comment on affronte ça.

Et cette même année-là, j’ai joué dans A tort et à raison au Rive Gauche, mise en scène par Odile Roire où les répétitions n’ont pas été faciles tous les jours. Ça a été un petit peu conflictuel mais le résultat a été très beau, très dense. Pour moi, c’était une vraie expérience parce que je jouais le lieutenant Wills qui est sur le plateau quasiment toute la pièce.

« Ici on découvre un Cocteau très souriant, qui aime rire. J’aime beaucoup cette facette-là. »

Comment travailles-tu avec Bérengère Dautun qui joue à tes côtés dans le Cocteau ?

C’est la troisième fois que je joue avec Bérengère. La première fois, c’était dans Les Femmes savantes, mise en scène par Colette Teissèdre. C’est là où on s’est rencontré. Peu de temps après elle voulait adapter Les Cahiers de Malte de Rilke qu’elle mettait en scène. Là c’était un travail très technique parce que comme c’était l’adaptation d’un texte littéraire, ça restait quand même quelque chose de très littéraire. Bérengère avait beaucoup insisté, et à mon avis à raison, pour que le spectateur ne s’ennuie jamais, qu’il soit toujours raccroché par quelque chose. Donc on a eu comme ça tout un travail de mise en place technique autour de la table qui était très précieux.

Et sur le Cocteau, où on était mis en scène par Pascal Vitiello, on est un duo dans ce spectacle qui ne se regarde jamais, qui n’a aucune interaction directe. On a répété la pièce très vite parce qu’on se connait bien, on s’entend bien. Ce qui est particulier ici, c’est que oui, on travaille ensemble mais l’un à côté de l’autre.

On a passé deux ans à faire régulièrement des lectures de l’adaptation que signait Bérengère du livre de Carole Weisweiller jusqu’à le jouer au Studio Hébertot.

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Dans cette pièce tu incarnes un Cocteau intemporel…

Je ne vais pas parler à sa place mais je pense que c’est comme ça qu’il aurait aimé être représenté. Pas défini dans un cadre, toujours en mouvement, toujours différent, toujours surprenant. Ce qui est très drôle c’est que de Cocteau, je connaissais son théâtre, ses dessins, sa poésie mais pas trop sa vie. Quand on a commencé à travailler dessus, je me suis posé la question : est-ce que je travaille beaucoup sur Cocteau ou pas. Et j’ai fait le choix de ne pas le faire parce que je me suis dit qu’il y avait tellement de choses sur lui que je n’arriverais pas à cerner Cocteau.

Je suis obligé de prendre un angle et de me limiter à ça et même dans le spectacle, il présente déjà tellement de facettes de lui-même… Et ce que j’aime beaucoup ici, c’est qu’on connaît habituellement Cocteau comme un être torturé, drogué, mondain et là on le voit très souriant qui aime rire. J’aime beaucoup cette facette-là.

J’ai vu que tu avais tourné déjà dans des courts métrages, le cinéma te tente-t’il ?

J’aime beaucoup ça, et je l’avoue, depuis peu de temps. Avant, je n’aimais pas trop ça parce que j’étais très intimidé par la caméra. Je n’avais pas suivi de formation spécifique et il m’a fallu beaucoup de temps pour l’appréhender. J’ai tourné, il y a quelques années maintenant, un épisode des Petits Meurtres d’Agatha Christie où je me suis beaucoup amusé et où j’ai arrêté d’avoir peur de la caméra.

J’ai joué aussi dans le film que Vica Zagreba a tourné l’année dernière Pa fuera sorti récemment. Elle m’a donné un joli rôle à interpréter. Mais le cinéma c’est aussi une question de réseau que ne j’ai pas développé.

« (…) l’apprentissage du texte, selon moi, est vraiment un muscle et je crois que chacun doit apprendre « sa manière d’apprendre ».

Pour en revenir au métier de comédien, comment se passe pour toi l’apprentissage du texte ?

Quand j’étais chez Cochet, je passais un nouveau texte tous les quinze jours environ. Ce qui m’a appris à apprendre les textes vite. Je les oubliais tout aussi vite. Quand la pièce est terminée, un mois après, je ne le sais plus. Mais l’apprentissage du texte, selon moi, est vraiment un muscle et je crois que chacun doit apprendre « sa manière d’apprendre ». Et la mienne est très liée à la pensée. C’est-à-dire que dès que je ne comprends pas ce que je dis, dès que je n’ai pas un cheminement intérieur qui me fait dire forcément cette chose-là, je suis incapable d’apprendre le texte. Mon boulot, c’est d’essayer de comprendre pourquoi à ce moment-là je dois dire ces mots-là et pas d’autres. Une fois que je me suis fait ce petit parcours mental, ça vient très rapidement.

L’autre piège pour le comédien, c’est de porter un jugement sur son personnage ? Est-ce que cela t’est déjà arrivé ?

La question du jugement, c’est un petit peu compliqué. Parfois, on ne peut pas s’en empêcher. Un truc que je trouve très intéressant se trouve dans la technique Meisner, basée sur l’immédiateté, le moment présent. C’est justement d’essayer de n’avoir aucun a priori sur son personnage, sur les situations mais d’être là, de dire les choses qu’il y a à dire, et de voir ce qui se passe sans a priori. Souvent, on découvre des choses insoupçonnées et c’est très intéressant. J’essaie d’être là avec le spectateur. Et particulièrement avec le Cocteau, c’est difficile parce que dans ce cas-précis je n’ai pas d’interaction avec ma partenaire. Mais du coup,  comme je m’adresse au spectateur directement, j’interagis aussi avec lui et c’est, je pense sur ces moments, que de l’intérieur on le ressent différemment.

Un grand merci à Guillaume Bienvenu pour sa disponibilité (et sa patience !).
Plus d’informations sur son parcours : http://guillaumebienvenu.com/
Crédits photo: droits réservés.

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