Critique théâtre : Les Damnés – Avignon IN

Ils ont fait l’ouverture du 70ème Festival d’Avignon, il y a tout juste une semaine, ces Damnés de Visconti, revisités par Ivo van Hove et déjà fait couler beaucoup d’encre. A l’occasion de ma première journée de festival, hier soir, je les découvre à 22h, dans la célèbre Cour d’honneur du Palais des Papes où de nombreux fantômes historiques, religieux et théâtraux nous entourent tout le long de cette inquiétante descente aux Enfers…

La Comédie Française qui n’avait pas joué dans la Cour d’honneur du Palais des Papes depuis 23 ans, revient avec une proposition artistique très forte en même temps qu’elle signe l’entrée dans son répertoire du scénario des Damnés du maître Luchino Visconti.

Son metteur en scène Ivo van Hove précise qu’il n’a pas vu le film de Visconti depuis des années, cherchant avant tout à pleinement se réapproprier le matériau textuel pour composer une œuvre nouvelle. « Le monde des Damnés est absolument noir, » tient-il à rappeler.

Les Damnés raconte en effet, comme un retour mythique à l’origine du Mal, la singulière descente aux Enfers de la famille von Essenbeck (inspirée de la famille Krupp), propriétaire de grandes aciéries dans la Ruhr qui a choisi de pleinement accompagner le mouvement politique nazi, alors en plein essor dans le début des années 30.

Une galerie de personnages hauts en couleurs que la Troupe du Français s’approprie avec beaucoup de justesse. Du très effacé et enfantin Günther von Essenbeck (Clément Hervieu-Léger, superbe de retenue), en passant par la venimeuse Baronne Sophie von Essenbeck (magnifique Elsa Lepoivre), le brutal et inquiétant Baron Konstantin von Essenbeck (Denis Podalydès magistral) ou le pervers Martin von Essenbeck (Christophe Montenez qui ne joue peut-être hélas que cette note-là tout au long de la pièce), ou bien encore Herbert Thallman (Loïc Corbery) seule et mince note d’espoir dans cet effroyable récit, qui refuse d’adhérer à l’ascension nazie et choisit de fuir cette famille incestueuse et macabre.

Une mise en scène trop lourde de sens

Le spectateur de cet effroyable récit que j’ai été hier soir dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, se révèle glacé dans tous les sens du terme : à la fois par le Mistral qui s’est subrepticement emparé du lieu mais aussi et surtout par cette mise en scène trop glaçante, esthétisante et à bien des égards désincarnée.

L’utilisation de la vidéo (caméras en scène, cadreurs suivant les acteurs en coulisses, images préfilmées se mêlant à la captation au présent) est ici tellement appuyée que ce système de récit par la loupe finit par nous éloigner véritablement de l’objet théâtral souhaité. Nous restons ainsi sur notre faim, devant une sorte de cinéma réinventé, oubliant presque que les acteurs « vivent » sous nos yeux.

Bien sûr, sont lourdes de sens les choix de la scénographie, de la couleur flamboyante du plateau, de la structure métallique, du choix des musiques plébiscitées par le régime nazi. Ils nous rappellent constamment que nous sommes projetés dans les arcanes d’un Mal ancestral, plus profond encore que celui du fléau nazi.

Mais c’est peut-être justement cette lourde addition de sens autour de la notion du Mal, ardemment recherchée ici, qui concourt à une bien triste mise en distance avec le spectateur, le discours moral ayant été soigneusement évité par Van Hove et qui nous aurait peut-être apporté plus de nuances…

Les Damnés
Scénario de Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli
Mise en scène de Ivo van Hove
Création le 6 juillet au Festival d’Avignon
Du 6 au 16 juillet
Cour d’Honneur du Palais des Papes
A la Comédie Française, salle Richelieu
Du 24 septembre 2016 au 13 janvier 2017.
Avec Sylvia Bergé, Eric Génovèse, Denis Podalydès, Alexandre Pavloff, Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Clément Hervieu-Léger, Jennifer Decker, Didier Sandre, Christophe Montenez et Sébastien Baulain.
www.comedie-francaise.fr
 
Crédits photo: Christophe Raynaud de Lage

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