L’Echange de Paul Claudel
Parmi les trésors du Poche-Montparnasse de cette rentrée à ne surtout pas manquer, il y a L’Echange. Didier Long, son metteur en scène et adaptateur, a choisi d’explorer la seconde version de la pièce de Paul Claudel, moins lyrique et plus moderne. Ses quatre comédiens y sont éblouissants, chacun à leur façon.
Deux mondes (l’Amérique et la Vieille Europe), deux couples (Louis et Marthe Laine ; Thomas Pollock Nageoire et sa femme Lechy) et deux milieux sociaux radicalement différents (celui des honnêtes « moins que rien » face à celui des douteux nouveaux riches) se jaugent, s’aiment et se déchirent.
Il garde le domaine de l’autre et ce dernier lui propose d’acheter sa femme. Et, pourquoi pas après tout ?
L’un, très jeune et descendant d’une lignée indienne, Louis, est volage et sans le sou, le second Thomas Pollock Nageoire est cet arrogant représentant du rêve américain qui pense tout pouvoir acheter. Il ne s’intéresse plus depuis longtemps à son épouse, Lechy, une comédienne aux mœurs émancipées. Au milieu de tout cela, il y a Marthe, la femme de Louis, française déracinée mais ancrée dans ses valeurs et dans son amour pour Louis. Dans cette seconde version, Paul Claudel a particulièrement développé le personnage de Marthe.
Des comédiens au diapason
La scénographie toute en nuances de Nicolas Sire, malgré ou grâce aux contraintes du Poche, illustre le choc de ces deux couples et de ces quatre personnalités que tout opposent : à cour, la maison de Thomas représenté par des briques rouges et à jardin un grand drapé qui représente l’espace de Louis. Avec pour horizon, l’ouverture vers la mer et peut-être celle de la liberté ?
Passionné depuis longtemps par le théâtre claudelien, Didier Long a su parfaitement, dans son adaptation et dans sa direction d’acteurs, transmettre toute l’énergie du texte, le choc des mots et la complexité de ses protagonistes.
Ces derniers sont interprétés par quatre comédiens au diapason. François Deblock compose avec beaucoup de justesse un Louis Laine à la fois, aérien, sensuel et tourmenté. Face à lui, Pauline Belle joue son épouse, une Marthe amoureuse, terrienne et combattante. Mathilde Bisson, dans le rôle de Lechy, la comédienne qui n’a pas froid aux yeux, semble se délecter des innombrables contradictions de son personnage. Wallerand Denormandie, son époux, imprime progressivement son empreinte sur le récit et joue merveilleusement les parts d’ombre et de lumière de son personnage.
Une langue riche, libre, profondément moderne
Chaque personnage est, bien sûr, une illustration de la réflexion que Claudel se fait du Nouveau Monde (qu’il découvre en tant que diplomate). Mais surtout de lui-même : (…) c’est moi-même qui suis tous les personnages, l’actrice, l’épouse délaissée, le jeune sauvage et le négociant calculateur. », écrit-il en 1900.
Didier Long a su également exploiter l’humour et la poésie de cette pièce, malgré le double drame conjugal qui se joue sous nos yeux. L’utilisation de cette balançoire au milieu de la scène permet très justement de diversifier le jeu de l’acteur et de stimuler notre écoute.
D’une durée d’1h45, cette version a été dépoussiérée dans le bon sens du terme. Je n’imaginais pas le rire permis chez Claudel et pourtant ici il est bel et bien présent.
La classe de seconde qui avait pris place et qui chahutait à qui mieux mieux avant le lever de rideau, s’est brusquement tue, jusqu’à la fin, captivée elle aussi par cette langue poétique libre et moderne ici magnifiquement restituée.
L'Echange de Paul CLAUDEL Mise en scène de Didier LONG Avec : Pauline BELLE Mathilde BISSON François DEBLOCK Wallerand DENORMANDIE Lumières : Denis KORANSKY Décor : Nicolas SIRE Musique et sons : François PEYRONY Du mardi au samedi à 21h - dimanche à 17h Théâtre de Poche-Montparnasse Photographies : Pascal GELY