Critique théâtre : L’Eveil du Printemps de Frank Wedekind

Écrite en 1891, L’Eveil du Printemps nous surprend vivement ici par son propos précurseur. Dans la forme comme dans le fond, cette « tragédie enfantine en trois actes », interpelle. On le doit aussi beaucoup au travail de son metteur en scène, Clément Hervieu-Léger, qui n’a de cesse de creuser le sillon du texte, d’en extraire avec force les moments d’ombre comme de lumière.

Jusque dans les décors des pièces qu’il met en scène, Clément Hervieu-Léger rend hommage à la fugacité, au lieu de la transition, du passage (comme ce pallier du Misanthrope ou cette dune de plage pleine de verdure du Petit Maître Corrigé), si propice aux sursauts, parfois contradictoires, des sentiments, aux rebondissements du cœur. Ainsi avec ce décor unique bleu nuit, toutefois en constant mouvement, l’adolescence, au cœur de l’intrigue de Wedekind est disséquée avec beaucoup d’acuité.

Avec le scénographe de Chéreau, Richard Peduzzi, Clément Hervieu-Léger a conçu l’identité de L’Eveil du Printemps comme un espace mental multiple et unique, ouvert et clos à la fois.

Derrière cette bande d’adolescents allemands, au sortir de l’enfance, qui s’interrogent sur leur propre sexualité, Wedekind met à mal la conception de l’éducation de son époque.

Cette pléiade de jeunes personnages (sur le plateau, pas moins de vingt-trois comédiens !) illustre cette problématique de l’ignorance collective. : il y a Melchior (Sébastien Pouderoux) qui « sait » parce qu’il a pris le parti de se renseigner par lui-même, il y a Moritz (Christophe Montenez) qui désespère de ne pas « savoir » et se renferme dans les études. Il y a la charmante Wendla (Georgia Scalliet) qui tente par tous les moyens d’interroger sa mère… On verra ainsi par la suite combien le savoir est de loin préférable à l’ignorance.

Un prodigieux rêve éveillé

Derrière cette tragédie enfantine, il y a aussi comme en filigrane le sort de l’Allemagne, à quelques décennies du premier conflit mondial (le camp de redressement faisant aussi penser à la sombre période de la Seconde Guerre Mondiale).

Mais L’Eveil du Printemps surprend aussi souvent par son humour, la gaieté affichée de ses personnages, la sincérité de leurs échanges. Le rire et les larmes souvent se côtoient, la poésie illuminant le texte bien souvent.

La troupe des comédiens ne se distingue pas uniquement par sa jeunesse : il y a bien sûr les personnages d’adolescents joués par de jeune comédiens en apprentissage mais aussi par des comédiens plus chevronnés, pour incarner les rôles principaux. Il y a aussi les adultes, ces grandes personnes qui ne comprennent rien et qui ne sont là que pour faire valoir leur autorité.

Parmi les comédiens, tous soucieux de défendre avec cœur ce texte fort (qui entre en même temps au répertoire de la Comédie Française !), il faut saluer le jeu engagé de Sébastien Pouderoux et la présence solaire de Georgia Scalliet, entre espièglerie et pure révolte. Mais aussi la formidable énergie déployée par Christophe Montenez. Ce dernier compose un Moritz saisissant, puissamment juvénile, onirique, Viscontien, plongé dans le tourment infernal,  et qu’il traduit physiquement aussi par ce corps qu’il tord à loisir. Brillant !

Dans cet Eveil du Printemps, la force du texte, son incarnation et sa représentation se retrouvent au diapason, comme pour mieux nous tenir compagnie par la pensée, bien des jours plus tard… Un prodigieux rêve éveillé.

L’Eveil du Printemps de Frank Wedekind

Mise en scène de Clément Hervieu-Léger

Scénographie de Richard Peduzzi

Avec Sébastien Pouderoux, Christophe Montenez, Georgia Scalliet, Cécile Brune…

Salle Richelieu

Comédie Française

Du 14 avril au 8 juillet 2018

Durée estimée environ 3h.

Crédits photo: © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française.

www.comedie-francaise.com

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