Grignan 2014: Souvenirs épars…

Avant le festival d’Avignon, l’été, il y a un endroit magique que peu de gens amateurs de théâtre connaissent et c’est la raison pour laquelle, il reste un peu caché par ses habitués. Et cet endroit dont je vais vous parler, vous l’avez bien deviné, puisque vous êtes de nature perspicace, il s’agit du village de Grignan, surplombant avec son château et ses fortifications, la Drôme provençale et ses champs de lavande à perte de vue…

Je ne vais pas vous refaire le couplet touristique sur la Marquise de Sévigné écrivant à sa chère fille, Françoise, comtesse de Grignan, parce que cela fait un peu quatre ans que je reviens ici et que je vous ai déjà parlé de ces deux célèbres correspondantes, de la grande plume rouge qui orne le clocher de Grignan et de toutes les plumes rouges qui décorent les quatre coins du village. Les commerçants proposant même, à cette occasion des « chambres d’écriture », permettant de rédiger son courrier avec plume, encre, enveloppe et papier à lettre aux frais du Festival. (Des petits malins une année avaient même eu l’idée d’envoyer ainsi leurs 200 faire-parts de mariage, mais là quand même, c’était aller trop loin!…).

Bref, c’est dans ce délicieux contexte que j’arrivais à Grignan, le mercredi 2 juillet, le matin, en compagnie de Jean-Philippe Puymartin, Jean-Michel Ribes et Loïc Corbery, mes compagnons de route que le hasard avait placé dans la navette du festival, après avoir fait un saut dans la maison d’hôtes « Le Grand Cordy » où j’avais eu le temps de déposer mes bagages.

Au programme de ce mercredi, une lecture de la correspondance de Raymond Poincaré, instituée par le comédien, metteur en scène et dramaturge, Olivier Brunhes et la délicieuse Séverine Vincent qui depuis plusieurs années fait partie des « fées de Grignan » (on parle d’un lieu magique, dois-je vous le rappeler ?) pour adapter, mettre en scène ou tout simplement lire les correspondances, en complicité avec Anne Rotenberg*, directrice littéraire et autre fée de Grignan.

Olivier Brunhes était heureux d’entrer dans la peau de ce président qui lui-même avait été galvanisé à l’idée de diriger la France durant la guerre de 14-18, l’occasion pour lui d’adopter un discours paternaliste et patriotique de circonstance dont il avait avec peine fini par se lasser (fort heureusement). Il faut ici rappeler que le thème de cette année à Grignan était « 1914, entre Belle Epoque et Guerre ».

La première journée se ponctua pour moi, de moments de lecture recueillies (Rosa Luxemburg « la spartakiste qui parlait aux oiseaux », brillamment lue par Nathalie Cerda, les lettres de l’impératrice à Nicolas II lue par Claire Chazal, une habituée de Grignan, dans la Collégiale de 19h, encore gorgée de soleil), de retrouvailles avec la cantine du festival, moment privilégié où les festivaliers se retrouvent au gré du placement des bénévoles.

Le soir, à 22h, à la Collégiale, Alain Fournier, l’auteur du Grand Meaulnes, qui s’engagea avec ferveur sur le front et mourut fort jeune, était à l’honneur. Un moment fort pour les festivaliers. Peut-être parce qu’en plus de la force de l’écriture de cet auteur, aussi exigeant envers lui-même qu’envers son rôle d’écrivain, se déployaient aussi sur scène deux lecteurs-comédiens capables de retranscrire avec charisme et justesse tout ce brillant univers.

La correspondance était lue par Raphaël Personnaz et Romane Bohringer, sous l’égide de Ladislas Chollat. Raphaël Personnaz, qui pendant ces sept dernières années avait été happé par le cinéma, était heureux de retrouver la scène et ce public particulièrement exigeant de Grignan, heureux présage aussi de son retour sur les planches parisiennes à la rentrée au théâtre Hébertot, à l’occasion de la pièce américaine Les Cartes du Pouvoir.

Le jeudi 3 juillet, les lectures adoptaient un ton plus léger, placées sous le signe de cette Belle Epoque où Paul Poiret habillait avec talent et poésie les plus jolies dames d’Europe (très belle et juste lecture de Jean-Paul Bordes !) ; où le jeune Cocteau (incarné par le talentueux Nicolas Maury), écrivant à sa mère, révélait pendant ces années de guerre, aussi la gestation de son talent, ses rencontres artistiques inénarrables, sa propre maturation d’homme et cet affranchissement progressif des jupons de sa chère Maman. Une mise en lecture adaptée par Christian Siméon (auteur et compagnon de festival adorable) et une fois de plus signée du talentueux Ladislas Chollat.

Après la collégiale de 19h, où la correspondance de Céline était lue à deux voix par l’incroyable Denis Lavant et (belle découverte pour ma part !) par le jeune comédien François Deblock, « cuirassier Destouches » et après avoir repris des forces à la cantine, c’est à 22h, à la Collégiale, qu’une « correspondance imaginée » par le jeune Sacha Guitry avait lieu, en présence de Davy Sardou et Jean-Claude Dreyfus.

Vendredi 4 juillet, l’orage se faisait de plus en plus menaçant à Grignan. Les hommes, en raison du match de foot  France-Allemagne imminent, avaient déserté les rues. Je m’étais réfugiée au Clair de Plume, cet hôtel élégant et tranquille, à la terrasse ombragée et où j’avais surpris Loïc Corbery et Michel Vuillermoz, relire de concert, en compagnie de Didier Long, la correspondance de Maurice Genevoix prévue pour la Collégiale de 22h le soir-même.

Hélas la météo en décida autrement. Si l’œuvre « Darius », récompensée par le prix Durance – Beaumarchais SACD, écrite par Jean-Benoît Patricot, mise en lecture par Murielle Magellan et interprétée par Patrick Catalifo et Marie Brunel, avait été lue, abritée de la pluie battante, tel n’était pas le sort des lectures du soir, obligées de se faire à la salle des Fêtes surchauffée de Grignan.

Mais au fond, le front et sa violence avait tôt fait de nous faire oublier les lieux, ainsi que l’interprétation des deux sociétaires de la Comédie Française, dont la complicité indéniable avait sûrement aussi aidé à transmettre cette belle amitié qui unissait le jeune Genevois dépêché sur le front à Paul Dupuy (Secrétaire général de l’Ecole Normale Supérieure où Maurice Genevois avait fait ses premières armes). Une mise en lecture haletante initiée par Didier Long.

Samedi 5 juillet, jour de mon retour à Paris, j’avais tout juste le temps d’assister à la lecture de la correspondance des époux Churchill, incarnée à Grignan par Michel Vuillermoz, habitué du festival et la comédienne Lara Suyeux. Une mise en lecture signée par Julia de Gasquet, comédienne, metteure en scène et enseignant l’histoire du théâtre à l’université.

Dans les rues de Grignan, en compagnie de Murielle Magellan, je retrouvais Anne Rotenberg, Michèle Fitoussi et Véronique Olmi, les fondatrices du Paris des Femmes et surtout amies de longue date.

A la cantine, les bénévoles s’activaient toujours aussi gaiement qu’efficacement. Leur chef Jocelyne Garaud, présente dès les premières années du festival, créé en 1996, était heureuse d’évoquer le festival, tout juste après le service, entourée de ses congénères. « Une centaine de couverts par repas est à prévoir pendant le festival, avec quatre ou cinq personnes pour le service, ainsi que trois personnes à la cuisine et deux personnes à l’accueil. » Les services du matin et du soir laissant toutefois les bénévoles libres de découvrir, par roulement, les lectures de l’après-midi et du soir.

Les bénévoles viennent de plusieurs villages des alentours et agissent de même avec les autres événements qui ponctuent l’année à Grignan (les marchés nocturnes, la foire agricole, Décembre en Fête, etc).

Jocelyne se souvient avec émotion d’une lecture où elle a elle-même été réquisitionnée pour incarner une grand-mère, un moment particulier, aux côtés de Claire Nebout, Julie Marbeuf et Séverine Vincent où ce qu’elle lisait l’a fait soudainement oublié les circonstances de cette lecture et le public qui l’environnait. Un merveilleux moment de lâcher prise…

Pour les bénévoles, le festival de Grignan, c’est aussi l’occasion de côtoyer des personnalités du théâtre et du cinéma comme les regrettés Bernard Giraudeau ou Michel Duchaussoy, mais aussi les monstres comme Jacques Weber, Michel Bouquet, Jean-Claude Dreyfus, Michel Galabru, Samuel Labarthe… « Et on n’a pas évoqué les femmes, dans tout ça ! », ajoute une bénévole, malicieusement. Clémentine Célarié, à ce sujet, fait l’unanimité : « c’est une femme toute simple avec qui nous avons partagé de grands fous rires. »

Ainsi, le festival de Grignan réunit chaque année depuis près de vingt ans, artistes, techniciens, journalistes mais aussi bénévoles (cette centaine de personnes toujours souriantes et vrombissantes), dans un cadre toujours unique et sous le patronage de cette chère Marquise de Sévigné…

*Au moment où nous écrivons ces lignes, nous venons d’apprendre par un communiqué de presse du Festival que la directrice artistique du Festival de la Correspondance de Grignan, Anne Rotenberg quittait ses fonctions.

Il faut saluer ici l’importance de son travail pendant quinze ans : l’accès et la lecture d’archives en bibliothèque, le travail chronophage de sélection des textes, de montage et d’adaptation, le choix des personnes capables de « mettre en lecture », les comédiens, les répétitions, etc. Anne Rotenberg est à l’initiative durant toutes ces années de plus de 300 créations de lecture-spectacle d’art épistolaire.

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