Le Pays Lointain – Poignant ballet des solitudes

Quel est ce « pays lointain » dont parle Jean-Luc Lagarce dans son œuvre testamentaire, en ce moment jouée sur les planches du Théâtre de l’Odéon ? C’est ce que, spectatrice touchée, et non spécialiste de l’auteur, j’ai souhaité découvrir, face à cette expérience théâtrale poignante mise en scène par Clément Hervieu-Léger, qui nous enchante habituellement à la Comédie Française…

C’est la première fois que je me frotte à l’écriture de Lagarce et à son adaptation au théâtre. Il faut dire que je suis chanceuse car le maître d’œuvre qui m’initie à cette « rencontre » n’est autre que Clément Hervieu-Léger, le metteur en scène, qui explore ici cette œuvre riche et subtile avec toute sa sensibilité et connaissance d’homme de théâtre.

Un no man’s land pour décor

Il place ici ses comédiens dans un décor unique et magnifique, sorte no man’s land follement poétique, encadré par de larges barrières, le bruit lointain d’une autoroute, une cabine téléphonique et une vieille et poussiéreuse voiture. Sont ici convoqués les fantômes du passé mais aussi les personnes du présent, la famille « imposée » et la famille « choisie » du héros Louis (porté avec charisme par Loïc Corbery), condamné à la mort (le SIDA ne sera jamais évoqué).

Ainsi, c’est bien dans le théâtre mental de Louis que tout va se jouer. Pour l’auteur dont la frontière entre fiction et autobiographie semble si ténue, c’est l’occasion de faire parler toutes ses personnes qui ont peuplé la vie de son héros : « Histoire de ce voyage et de ceux-là, tous ceux-là, perdus de vue, qu’il rencontre et retrouve, qu’il cherche à rencontrer et retrouver » (L’Amant, mort déjà, Le Pays Lointain, Jean-Luc Lagarce).

Louis, un homme que la mort semble ressusciter

Au cœur de ces retrouvailles, il y a Louis, ce personnage de « jeune homme » complexe car il est le sujet et l’objet de ce récit. En cela, il est le vecteur commun de toutes les discussions. Mais il est à la fois acteur et spectateur de ces surprenants échanges. Chacun des personnages convoqués ici tentent de le définir, de témoigner. Que cela soit son « père-mort déjà » (Stanley Weber très juste et touchant), sa mère encore en vie (Nada Strancar y incarnant tout l’amour maternel dans ce qu’il a de plus beau et étouffant à la fois), « l’amant-mort déjà » (Louis Barthélemy, qui endosse souvent le rôle du narrateur), Suzanne, la sœur de Louis (Audrey Bonnet qui envoie des décharges électriques à chacune de ses interventions)…

Toute cette troupe sur scène (ils sont dix sur le plateau à se mouvoir dans un ballet très précis) entoure Louis. Loïc Corbery incarne la lente mais progressive mise à nu de son personnage avec toute une palette d’émotions jaillissantes, contradictoires. Sur le plateau, il est insaisissable. Un homme que la mort semble avoir ressuscité. Il s’approprie véritablement le texte de Lagarce, éminemment bouleversant, pudique, bouillonnant et drôle aussi.

Poignant ballet des solitudes

A l’entracte (la pièce dure 4h), les comédiens se détendent sur le plateau, un sandwich à la main, sur des airs de rock (on monterait bien sur le plateau pour danser avec eux ! Voilà, c’est dit !).

J’avoue que dans les premiers instants, cela m’a été dur d’entrer dans cet univers mais progressivement la musicalité de la langue de Lagarce, le rythme créé par la mise en scène et l’interprétation tout en nuances des comédiens font que la magie opère. Et dans la deuxième partie, l’émotion vous prend littéralement aux tripes.

Cette écriture de Lagarce qui convoque sur scène le passé et le présent, la famille et les amis, la fiction et la réalité, réunit finalement toutes les solitudes. Et ce très beau « poème des solitudes », Clément Hervieu-Léger l’a construit avec précision, tout en utilisant aussi ce temps qui permet à ses personnages d’infuser.

Le Pays Lointain

De Jean-Luc Lagarce

Mise en scène de Clément Hervieu-Léger

Avec

Aymeline Alix, Louis Barthélemy, Clémence Boué, Loïc Corbery,

Vincent Dissez, François Nambot, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro,

Nada Strancar, Stanley Weber

Du 15 mars au 7 avril

Théâtre de l’Odéon

Une production La Compagnie des Petits Champs


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