Pierre Cassignard n’est plus
Pierre Cassignard, immense comédien, nous a quittés hier. Il venait tout juste de souffler sa 56ème bougie. Mon admiration et mon respect sans faille pour l’homme et le comédien, je les avais éprouvées pour la première fois en 2005, lorsque je le rencontrais, à l’occasion d’un entretien, dans sa loge de La Locandiera, au Théâtre Antoine où il jouait, comme toujours de façon éblouissante, aux côtés de Cristiana Reali.
Dans la pièce de Goldoni, La Locandiera, Pierre Cassignard se démène tous les soirs pour les beaux yeux de Cristiana Reali. Goldoni lui a déjà porté chance quand il reçoit le Molière du meilleur comédien en 1997 pour le double rôle titre des Jumeaux vénitiens. Mais derrière la chance, il y a toujours une somme folle de travail et d’exigence vis-à-vis de soi-même.
Sur scène comme dans le dédale des couloirs qui mènent à sa loge du Théâtre Antoine, Pierre Cassignard est un véritable tourbillon. La loi de gravité, le sieur Cassignard ne semble pas vouloir en entendre parler. D’ailleurs, c’est surtout la loi de la jubilation, de l’humour, de cette énergie que seul le répertoire comique exige de ses interprètes et dont il semble ici accepter le joug avec délectation : « Je crois que c’est un rêve qu’on a tous quand on débute ce métier de penser qu’un acteur puisse tout jouer. On essaie de tendre vers ça mais petit à petit cela s’effrite même si je me dis que peut-être plus tard j’irai vers quelque chose de moins léger, plus souterrain. Là par exemple avec Richard III que l’on me proposait en septembre prochain, je crois que ça aurait été une grosse bêtise d’accepter. Il faut essayer d’aller vers un territoire à annexer mais qui ne soit pas trop éloigné du nôtre. »
J’avais eu une sorte de flash, un truc super fort, en allant voir Yves Montand à l’Olympia en 1981.
Cette veine comique, le jeune Cassignard l’expérimente très tôt en faisant se tordre de rire tout son petit entourage : « Je voyais que je faisais rire autour de moi, et c’est ce goût de faire rire qui m’a poussé à jouer. Vers l’âge de quinze ans, j’ai commencé à faire du théâtre amateur, en intégrant une troupe en province. J’étais déjà un mordu, pas seulement de ça d’ailleurs, du jazz aussi et des claquettes. En fait ce que je voulais faire, c’était du music-hall. J’avais eu une sorte de flash, un truc super fort, en allant voir Yves Montand à l’Olympia, en 1981.
Une petite audition plus tard, Pierre Cassignard reprend son train pour Paris, un mercredi matin, et décroche son premier rôle professionnel, aux côtés de Delphine Seyrig. « Et là j’ai découvert la vraie vie du théâtre, les répétitions, et ça m’a piqué ! Puis Delphine Seyrig m’a dit : « Pierre, même si c’est con, même si tu t’emmerdes, passe le Conservatoire » et j’ai passé le Conservatoire. Je me suis mis à Shakespeare (rires), tout en gardant une préférence pour le rire et l’émotion réunis. Une joyeuse période où Pierre Cassignard fait la connaissance de Philippe Torreton qui devient alors son colocataire.
Sauf que le music-hall ne vit plus tellement son âge d’or en ce début des années quatre-vingt… « Comme, il n’y avait pas d’école de music-hall, que cela ne s’apprenait pas, j’ai passé le concours de l’école de la Rue Blanche. Je suis rentré dans cette école mais je n’étais pas très mature, je ne connaissais pas grand-chose. La seule chose que je savais, c’était que j’aimais jouer. J’avais passé le bac mais je ne connaissais pas Shakespeare, Tchekhov à peine, Pinter, etc… Alors, je me suis trouvé à la Rue Blanche avec des gens qui avaient fait les conservatoires de région et je me suis senti mal à l’aise, pas à ma place. On parlait de respiration abdominale et je ne comprenais rien. Par contre, en même temps, j’ai continué à jouer du piano, et faire des claquettes et au bout de deux ans, j’en ai eu marre, je suis reparti. »
J’adore l’idée que jouer la comédie doit rester simple et ludique.
Depuis, les rôles au théâtre s’enchaînent dans une sorte de continuum toujours placé sous le signe de cette vis comica, que Pierre Cassignard nous avoue reconnaître en ses partenaires de La Locandiera : « Je trouve qu’il y a une ambiance superbe avec La Locandiera. Je sais que cette pièce va vraiment être un souvenir parce que c’est le premier spectacle que je vois parler au public, comme ça, dans des salles pleines. Je me pince tous les soirs, de me dire que les gens réagissent ainsi, c’est miraculeux aujourd’hui.
Et d’ajouter : « En fait, je ne devrais pas le dire mais ça n’est pas tant les metteurs en scène qui me font envie. Avant tout, c’est un texte et mes partenaires. J’adore l’idée que jouer la comédie doit rester simple et ludique. Et si je vois dans l’œil de mes partenaires qu’ils ont envie de jouer à la marchande, de dire : « oh bonjour, je voudrais deux kilos de pomme de terre- mais bien sûr, je vous sers ça tout de suite, etc., » je trouve ça capital, pour jouer et même pour tout jouer y compris Richard III, ou Hamlet. S’il n’y a pas ce plaisir enfantin du jeu… Je suis donc très friand de mes partenaires. »
Au petit jeu du quizz sur ses acteurs et réalisateurs fétiches, c’est surtout des noms féminins qui surgissent : « Avec la réalisatrice Cécile Télerman (Tout pour plaire), la rencontre s’est tellement bien passée que j’aimerai bien la re-rencontrer (rires). Je me suis vraiment bien entendu avec Mathilde Seigner qui selon moi, a beaucoup de recul sur les choses, sur le métier, sur la façon dont elle le fait. On s’est entendu comme larrons en foire et ça a été un grand bonheur. Hyper consciencieuse, hyper sérieuse, mais tout ça avec un recul et un plaisir de rire. Vraiment formidable. »
Dans La Locandiera, Pierre Cassignard joue le rôle du Chevalier, misogyne piégé par les charmes de Cristiana Reali, plus pétillante que jamais. « Lui, c’est un personnage quasiment tragique. C’est sûr que je n’ai pas de tendresse pour les gens misogynes, mais il se laisse finalement touché par la grâce, quand même, et il est sauvé, selon moi. »
A la télévision, on a vu maintes fois Pierre Cassignard, qui avoue « avoir mis un temps infini à apprivoiser l’idée, même en arrivant à Paris et même à l’époque du Conservatoire que le métier ça n’était pas seulement le théâtre. »
La télévision donc, puis le cinéma ont commencé à lui faire les yeux doux. « J’ai mis du temps à lâcher prise, contrairement au théâtre où il y a une implication dans le jeu où l’on est volontaire, et vraiment maître de soi des pieds à la tête, alors qu’au cinéma, c’est un peu comme décider de s’abandonner.
Actuellement, c’est face à la caméra de Cécile Telerman dans Tout pour plaire, que Pierre Cassignard a décidé de s’abandonner, entouré d’un trio d’actrices (Judith Godrèche, Mathilde Seigner et Anne Parillaud) qui est loin de passer inaperçu, comme le prochain Cédric Klapisch, Les Poupées russes, où Pierre Cassignard joue le petit ami d’Audrey Tautou. « Une ambiance très sympa. Klapisch est vraiment un mec qui aime les acteurs. Il est très précis. Je me souviens d’une scène où je me disais « c’est bon, c’est dans la boîte » et il est venu me trouver, en me disant, « mais attends, je pense que ce qu’il faudrait faire ce serait la jouer plutôt comme ça » et d’un coup ça a tout changé ! Il travaille énormément sur un plateau même s’il n’en donne pas l’impression. »
La pirouette finale, si chère à Goldoni, c’est Pierre Cassignard qui nous la livre, le sourire toujours aux lèvres : « Le théâtre, en fait, me donne une espèce de colonne vertébrale qui fait qu’après tourner ou pas tourner, je m’en fiche un peu ! Mais bon, là c’est vrai que le cinéma, ça commence à me titiller de plus en plus ! »
Janvier 2005, Théâtre Antoine, Objectif-Cinema.com