Critique théâtre : Thomas Chagrin / Confessions d’un enfant du siècle

Thomas Chagrin (librement adapté de rien) est un monologue doublement réjouissant: il nous entraîne dans un univers à mi-chemin entre le désespoir dandy chic de Musset et l’absurde qui prend à la gorge de Beckett. Mais c’est surtout, des émotions en forme de montagnes russes, ici brillamment disséquées et interprétées par un jeune comédien particulièrement charismatique.

Qui est vraiment ce Thomas Chagrin qui harangue d’emblée son public avec une rage fervente et propose un récit d’une rare déconstruction ? D’emblée, ce personnage à l’allure sobre et mystérieuse, va kidnapper son public avec violence et instaurer un climat inédit dans une salle de théâtre. On n’en dira pas plus à ce sujet, car c’est tout le sel de ce monologue que de nous interpeller de la sorte.

La détresse de Thomas Chagrin, cet être esseulé et assoiffé de reconnaissance, est assez proche de celle d’un héros de Musset qui aime masquer celle-ci par un ton faussement moqueur; or ici Will Eno, son auteur new-yorkais, a cherché à illustrer cette détresse avec un recours constant au surréalisme. D’où le caractère décousu du propos et une émotion sourde qui va crescendo.


Une palette de jeu savamment déployée

Seul sur scène, Adrien Melin (Le Diable rouge) explore à travers son personnage mille et une émotions et situations rocambolesques. Une palette (régal d’acteur!) qu’il déploie avec un ton égal de bonimenteur faussement cynique. Ce Thomas Chagrin a ici une vraie dégaine et une façon curieuse de façonner une émotion sans jamais chercher « l’effet ».

Peu d’accessoires, zéro décor donc. Le texte, quant à lui, est mis en valeur de sorte que d’étonnantes images viennent se superposer à la scène (un enfant piqué par les abeilles, une salle de morgue revisitée). Les thématiques de l’enfance malheureuse ou de la rupture amoureuse sont à savourer entre les lignes.

A l’image de cette interprétation exigeante, le public reste en alerte tout au long du spectacle saisi par ce double propos qui, tant sur la forme que sur le fond, va interroger notre propre conception de la vie et de sa beauté.

Laetitia HEURTEAU

Thomas Chagrin (librement inspiré de rien)

de Will Eno

Adaptation de Jean-Marie Besset

mise en scène de Gilbert Desvéaux

Avec Adrien Melin

scénographie Gérard Espinosa

lumières Martine André

costume Marie Delphin

21h45 du mardi au samedi, du 16 août au 22 octobre 2011

Théâtre des Déchargeurs