Critique théâtre : La vie de Galilée

Salle Richelieu, venant clore cette brillante saison, la pièce de Brecht, La Vie de Galilée, donne l’occasion à son metteur en scène et scénographe Eric Ruf de nous en mettre plein la vue. Les artistes-peintres, chefs-décorateurs, costumiers et machinistes des ateliers du Français rendent un hommage somptueux au génie scientifique et artistique de cette époque.

Jamais l’étymologie du mot « spectacle » (« spectus », « qui s’offre aux regards, est susceptible d’éveiller des sentiments, des réactions ») n’a autant fait sens sur le plateau de la salle Richelieu. Eric Ruf a su, en effet, réunir à travers le choix de cette pièce et la mise en place de sa scénographie, une forme aussi forte que son fond.

Le fond, justement, c’est le récit de la vie de Galilée, ce brillant astronome, mathématicien et physicien italien du XVIIème siècle qui dut combattre l’ignorance et le pouvoir de son temps jusque dans sa propre chair, car il fut torturé et dut renier ses propres convictions auprès d’une Eglise plus inquisitrice que jamais. La pièce de Brecht n’en fait pas un saint loin-de là ! Et c’est justement toute l’humanité du personnage, dans ses nombreuses ambiguïtés, que le jeu tout en finesse d’Hervé Pierre fait ressortir.

Le récit de l’humain derrière ce grand homme, en proie perpétuel au doute, Brecht a pris du temps pour l’écrire, comme Eric Ruf prend le sien sur le plateau pour le mettre en scène, pour nous permettre de mieux le goûter. Le sort de Galilée, en lutte face à la science et au pouvoir de son temps est comme un sourd écho avec le sort de Brecht qui fuit les Nazis pour Los Angeles puis les Américains maccarthistes pour l’Allemagne de l’Est.

Eric Ruf, le « troisième homme », fait sien cette double lecture et la magnifie à travers son travail de scénographe-orfèvre, brillant chef d’orchestre  des artisans –peintres de ses ateliers (il est aussi l’administrateur de la maison de Molière).

La science, ce nouvel objet de culte

Tel un gosse devant un sapin de Noël rutilant, le spectateur découvre les costumes étincelants de certains personnages (on pense notamment à l’étonnant pape mathématicien incarné par Guillaume Gallienne, qui, tournant sur lui-même nous fait découvrir tout le travail de fourmis effectué sur son costume dessiné par Christian Lacroix).

Parmi ces grands panneaux largement inspirés de la Renaissance italienne, on note qu’ils sont souvent représentés non dans leur intégralité mais en gros plan sur des personnages aux mines interrogatives. C’est le doute qui habite le travail de Galilée et la réflexion philosophique de Brecht. C’est le doute aussi qu’Eric Ruf a choisi de souligner dans ce récit.

Autour de Galilée, il y a ceux qui l’oppressent (les représentants de l’Eglise inquisitrice de son époque, notamment représentés en formes géométriques dans un étrange ballet qui les ridiculise à loisir). Mais il y a aussi les « disciples », ceux qui suivent Galilée contre vents et marées. Certains parmi eux seront déçus que Galilée abjure ses convictions ; d’autres tenteront de le comprendre et de transmettre la fin de ses travaux pour une publication clandestine mais non moins incontournable.

Eric Ruf, avec toute sa générosité d’homme de théâtre a su raconter cette époque (pas si éloignée au fond) où la religion perd progressivement de son poids et où la science est en passe de devenir un nouvel objet de culte. Du bel ouvrage !

La vie de Galilée

De Bertolt Brecht

Mise en scène et scénographie de Eric Ruf 

Du 7 juin au 21 juillet 2019 puis du 30 septembre 2019 au 19 janvier 2020

Salle Richelieu

www.comedie-francaise.fr

Crédits photo © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

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