Entretien avec le comédien Farid Larbi, Les Hommes libres

Dès les premières minutes de notre entretien, Farid Larbi est intarissable sur la façon dont il conçoit son métier. Il faut dire qu’avant de s’y frotter, il a expérimenté tous les métiers de la production : « monteur, assistant de production, caméra, assistant-réalisateur, cadreur, régie et même chauffeur ! »précise l’intéressé. C’est à l’âge de 31 ans, suite à sa rencontre avec le réalisateur et producteur Stéphane Meunier et un casting pour la série Fortunes que Farid Larbi se lance enfin dans sa passion secrète : jouer devant une caméra. Après des téléfilms et deux expériences fortes de cinéma (Un Prophète et Des hommes et des Dieux), Farid Larbi incarne dans Les Hommes Libres, Ali, une figure méconnue de la résistance maghrébine sous l’Occupation.


Comment êtes-vous entré sur le film d’Ismaël Ferroukhi ?

Brigitte Moidon, directrice de casting en est l’élément-clé. C’est elle aussi qui m’avait branché sur le film de Beauvois mais à l’époque je ne le savais pas. Elle m’a donné rendez-vous et on a discuté un peu plus, fait un essai caméra où elle était très attentive à ce que je proposais.

Quand j’ai lu le le scénario, j’ai pris l’histoire en pleine face. Étant donné que je suis d’origine algérienne, ça m’a beaucoup touché : je me suis dit que mes grands-parents auraient pu se comporter comme Ali. Ce film est surtout un hommage qui induit beaucoup de responsabilités dans l’interprétation.

De quoi avez-vous parlé avec Ismaël Ferroukhi lors de votre rencontre ?

J’ai rencontré Ismaël dont je connaissais bien le film Le Grand voyage. J’avais tellement envie de faire ce film que je me disais que c’était impossible ne ne pas décrocher ce rôle. Je me suis livré à lui en lui racontant des choses très personnelles pour qu’il comprenne qui j’étais vraiment. Et surtout qu’Ali, c’était moi (rires). On a ensuite fait un essai caméra. J’ai un peu attendu la réponse, je devais donner la réplique à Tahar. Puis j’ai appris que j’étais pris. Là j’étais très heureux parce que c’est le plus beau rôle que j’ai eu dans ma jeune carrière de cinéma. Jouer un résistant allait me changer des précédents rôles de barbus méchants…

Quelle est justement la spécificité de votre personnage ?

Je pense qu’Ali est quelqu’un de profondément algérien, mais qui est aussi français par la situation politique dans laquelle il vit. Il est syndiqué et maîtrise bien les codes de la société française. C’est un personnage constamment à l’affût de tout ce qui se passe. Il est tout de suite présent dans ce premier combat contre le fascisme et veut montrer qu’il est un Français comme les autres.

La République française et ses valeurs sont complètement ancrées en lui. En plus, étant originaire d’un pays qui connaît la colonisation (une forme de ségrégation où les gens ne sont pas égaux), ça ne peut que l’atteindre. En bref, il ne peut faire autrement que de se battre.

Qu’est-ce qui le différencie de son cousin Younes, incarné ici par Tahar Rahim ?

C’est quelqu’un de concret, qui a une bonne conception des choses. Il voit un peu, attristé, son cousin Younes qui ne pense qu’à envoyer de l’argent en Algérie (ce qui ne le place pas dans une situation où il pourrait avoir une vraie conscience politique). Ce sont deux personnes qui ne sont pas intégrées de la même manière. Younes est quelqu’un qui est encore dans une sorte de processus d’immigration récente. Alors qu’Ali projette de vivre en France (même s’il pense aussi à l’importance de l’indépendance de l’Algérie), Younes ne pense qu’à faire de l’argent dans l’immédiat et peut-être rentrer au pays. Ali représente aussi les ouvriers, la dignité, la fierté de ces hommes qui sont restés en France et qui auraient pu repartir en Algérie comme beaucoup d’autres.

Justement, connaissiez vous ce pan de l’histoire ici dévoilé par le film ?

Je suis comme Ismaël dans le sens où je me doutais qu’il y avaient des maghrébins qui avaient fait de la résistance puisqu’il y avait bien des Algériens au front à Verdun. Il y avait certainement une majorité de maghrébins qui sont rentrés dans leur pays sous l’occupation, comme le dit Benjamin Stora. Et mon interrogation a été ainsi balayée grâce à cette recherche. C’était une vraie question : que faisaient ces gens-là ? Et s’ils étaient là, que faisaient-ils pendant cette période ?

Les Hommes Libres, c’est surtout un hommage qui induit beaucoup de responsabilités dans l’interprétation.


Comment s’est passé votre collaboration avec Tahar Rahim que vous connaissiez bien depuis le tournage d’Un Prophète ?

Déjà on était super contents de se retrouver. Il est comme moi aussi d’origine algérienne donc le sujet du film nous touchait plus particulièrement. Avec Tahar, c’était assez naturel. Il y avait une sorte de logique de cousins, d’autorité. Ça se passait bien dans le privé donc il n’y avait pas de raison que ça se passe mal dans le travail. Je crois qu’on a aussi la même manière de voir les choses. C’est un bonheur de travailler avec lui parce qu’il vous dit toujours : « Fais ce que tu veux, fais ce que tu as à faire ! » et lui réagit en fonction et s’adapte. C’est un vrai échange, une écoute. On voit qu’il a été à l’école d’Audiard, qui est constamment à l’écoute de ses comédiens principaux autant que de ses figurants.

Vous avez présenté le film déjà dans des festivals, quelles ont été les réactions du public ?

On l’a présenté au festival d’Angoulême en clôture et la semaine dernière à Metz, Nancy, et Strasbourg. Ça me fait, en fait, penser au film de Beauvois, dans le sens où à la fin de la projo, les gens étaient encore sous l’émotion. Il y avait plein de questions qui sortaient tout de suite.

Sur celui-là, il y a un peu de cela sauf que les questions ne fusent pas tout de suite, parce que c’est une histoire qui n’est pas connue. Ils ont besoin de l’absorber. Mais pour l’instant on a eu que des bons retours.

Il y a aussi cette question des Musulmans dont on parle souvent en mal depuis le 11 septembre et je pense que les montrer sous cet aspect, est vraiment novateur.

Quels sont finalement les enjeux du film, selon vous ?

Le film montre non seulement cette communauté maghrébine mais aussi qu’il y avait toute une vie autour, des cabarets orientaux fréquentés par des Français, notamment. C’est un film noble, porteur de valeurs, de tolérance. C’est aussi un film de mémoire. Je pense sincèrement que cette mémoire ne peut faire que du bien pour la société actuelle.

Finalement on est français bien avant l’indépendance de l’Algérie, j’ai envie de dire. Ça va aider à enlever quelques tensions peut-être. Notamment entre la communauté juive et la communauté musulmane. J’espère en tout cas que ce film va rassembler et ouvrir au dialogue.

Entretien réalisé à Paris, le 7 septembre 2011.