Récit du junket des hommes libres

C’est dans les salons de Ladurée, dans une ambiance gourmande et feutrée qu’a eu lieu la rencontre de l’équipe du film LesHommes Libres avec la presse. Chaque table de journalistes recevait un membre de l’équipe et à chaque nouveau plat, l’invité en question changeait de table. Tahar Rahim, Ismaël Ferroukhi et Michael Lonsdale se sont prêtés au jeu avec un intérêt aussi vif que teinté d’humour.

 


Ismaël Ferroukhi, le réalisateur du film Les Hommes Libres, rappelle la genèse du film : « Un article du Nouvel Obs sur la Grande Mosquée de Paris, ayant abrité des Juifs pendant l’Occupation allemande. » Comment en effet, ne pas être interpellé par ce pan méconnu de notre histoire ? Commence alors une longue période d’investigation auprès d’historiens, spécialistes de la question. On interroge les familles. Les témoignages s’accumulent. C’est un moment humain fort pour le réalisateur, soutenu par Benjamin Stora, historien spécialiste de la question.

Ce dernier a rappelé, lors de l’avant-première organisée dernièrement par l’Association ALADIN (militant pour la création d’un pont culturel entre arabes et juifs), qu’on dénombrait 100 000 maghrébins à l’orée de l’occupation allemande. Il est certain, que parmi ceux qui sont restés à Paris pendant cette période noire, beaucoup sont entrés en résistance. Ces « invisibles » (ils n’étaient pas détenteurs de la nationalité française), ont pourtant vécu dans un Paris plus oriental qu’on ne le pense (Grande Mosquée, cabarets, etc).

La productrice du film, Fabienne Vonier, précise que le film, de l’écriture à sa réalisation a pris trois ans, face à l’ampleur du sujet. Et là où on attendait une collaboration évidente de la part de la Grande Mosquée pour réaliser le film, l’équipe du film s’est cassé les dents. Sans préciser les raisons de sa décision, la Grande Mosquée a refusé le tournage en son sein. Qu’à cela ne tienne, l’équipe d’Ismaël Ferroukhi a tourné à Rabat. « Finalement c’était un mal pour un bien car le tournage au Maroc nous a permis d’être beaucoup plus libres. L’équipe déco a fait un travail incroyable. »


Michael Lonsdale arrive à notre table. Passons au plat de résistance…

Celui qui a marqué récemment les esprits en incarnant Frère Luc dans Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois, a repris la soutane dans le film, pour incarner le recteur de La Grande Mosquée, Si Kaddour Ben Ghabrit. « Il faut préciser ici que je n’incarne pas un personnage religieux. Le recteur de la Grande Mosquée a avant tout une responsabilité administrative. Je ne suis pas un imam. »

Quand on parle du tournage au Maroc du film à Michael Lonsdale, ce dernier rappelle qu’avec le Maroc, il entretient une relation particulière. En effet, de l’âge de huit ans à l’âge de dix-huit ans, Michael Lonsdale a vécu au Maroc. Et le plus étonnant est qu’une de ses tantes connaissait bien Ben Ghabrit, ce qui fait que Lonsdale a pu retrouver des photos privées du personnage qu’il s’apprêtait à incarner. « Ben Ghabrit ne m’était pas inconnu », souligne avec amusement le comédien.

La voix basse du comédien invite à l’attention, alors que son regard constamment teinté d’humour, rappelle qu’il faut prendre la vie avec amusement et un soupçon de recul. « Etre acteur, c’est finalement constamment rester enfant, dans cette envie d’apprendre. »

A propos de son partenaire à l’écran, Tahar Rahim, Michael Lonsdale souligne la difficulté du rôle, constamment dans la retenue. « On a échangé pas mal de choses et finalement pas tant que ça sur nos personnages, » commente malicieusement le comédien.


En guise de dessert, c’est le génial interprète d’Un prophète, Tahar Rahim qui vient à notre table. Arrivé fraichement du festival du film de Toronto où le comédien présentait deux films (Les Hommes libres, Love and bruises de Lou Ye), Tahar Rahim se prête au jeu des questions-réponses vaillamment. « J’ai découvert le sujet du film en même temps que le projet. Personne n’avait d’information sur ce fait historique. Je me suis imprégné de photos de l’époque car pour moi, l’apparence physique, les attitudes, racontent beaucoup de choses. »

A propos de son personnage, Tahar Rahim précise : « J’ai aimé mon personnage parce qu’il aime sa famille, va vivre une position risquée (qui est en même temps, en soi, un vrai privilège) en infiltrant le monde feutré de la Grande Mosquée. Bien qu’il soit le seul personnage fictif de ce récit, il est représentatif d’un groupe de gens. J’ai eu un vrai coup de foudre pour Younes. »

L’actualité ciné de Tahar Rahim est, le moins qu’on puisse dire, chargée. Après Les Hommes Libres (sortie nationale le 28 septembre 2011), on le verra dans le film chinois de Lou Ye, Love and bruises, puis le film très attendu de Jean-Jacques Annaud, L’Or Noir. « Avec Lou Ye, la caméra me laissait beaucoup de libertés, notamment dans sa façon de cadrer. » Jean-Jacques Annaud, quant à lui adore ses acteurs et parle beaucoup (rires). » L’Or Noir a représenté quatre mois de tournage, dont trois mois dans une Tunisie en pleine révolte. « Un technicien de notre équipe a même pris une balle », ajoute le comédien. Au fond, l’Or Noir ne raconte rien de moins que le printemps arabe puisqu’il s’agit de détrôner un émir qui n’est pas assez bien pour le pays. »

Quand on aborde la question de la notoriété, Tahar Rahim semble gêné. Une gêne touchante qui souligne aussi l’humilité du comédien. « Le danger de la notoriété, c’est de perdre le contact. J’ai besoin aussi de prendre du recul, de voir les choses arriver. Si pour ma famille et mon entourage professionnel proche, je n’ai pas changé, ça reste un bon indicateur, il me semble. »

Enfin, quand on lui demande si le théâtre ne le titille pas trop, le comédien répond de sa sincérité désarmante : « J’ai beaucoup à apprendre. C’est un art qui nécessite une telle humilité. Il faut faire encore plus parler son corps, lui donner de l’espace. J’aurai besoin de quelqu’un au théâtre en qui j’aurai pleinement confiance pour me lancer ! »…

 

  • Site du Projet ALADIN :http://www.projetaladin.org/fr/accueil.html

  • On retrouvera prochainement Michael Lonsdale au cinéma dans le film d’Ermanno Olmi, Le Village de carton

  • Tahar Rahim sera également à l’écran prochainement dans le film de Lou Ye, Love and bruises (sortie nationale le 2 novembre 2011) et dans L’Or Noir de Jean-Jacques Annaud (sortie nationale le 23 novembre 2011).

 

Crédits photos: Mireille Ampilhac.