Rencontre avec Alexander Payne, réalisateur de Nebraska

Prenez le décor feutré de cet hôtel, au cœur du Quartier Latin, où j’étais conviée hier en fin d’après-midi, un brillant cinéaste et scénariste comme Alexander Payne (Sideways, The Descendants, Nebraska), qui plus est, détenteur d’Oscars et de récentes nominations, de sympathiques et passionnés blogueurs de cinéma, confortablement installés autour de lui. Secouez le tout ! Est-ce que déjà cela ne ferait pas un bon film, en soi ?

Pour ceux qui aiment y voir d’un peu plus près, la vie est constellée de paradoxes. Pour un auteur, c’est très réjouissant. Comme Alexander Payne qui dans son dernier opus, Nebraska, (qu’il a filmé et non écrit, encore qu’il concède avoir ajouté sa patte à l’écriture finale) s’attache à raconter sous la forme d’un magnifique road-movie en noir et blanc, la très belle relation qui se tisse entre un père vieillissant (Bruce Dern) et son fils très dévoué (Will Forte), décidé à l’accompagner dans sa lubie de récupérer 1 millions de dollars prétendument gagnés à un jeu-concours.

Beaucoup d’humour, de tendresse et de paradoxes dans ce film qui le rendent très humain et donc passionnant.

Un peu à l’image de cette rencontre où la cinéphile shootée à l’imagination que je suis, ne peut s’empêcher de voir aux côtés d’Alexander Payne, pourtant doté d’une simplicité, d’une écoute et d’un humour confondants, tous les acteurs géniaux qu’il a dirigés : Jack Nicholson, Bruce Dern, George Clooney…

A ce propos, Alexander Payne déclare : « Je ne peux pas ici vous dire la spécificité du talent de ces grands acteurs. Je ne peux non plus vous parler de leur processus interne de création artistique. Tout ce que je leur demande c’est qu’à l’écran, ils soient parfaitement crédibles ; qu’ils me fassent oublier que je suis derrière la caméra à les filmer, qu’ils m’embarquent. Et au fond, ces brillants acteurs le sont parce qu’ils sont tout au service de leur art, à l’écoute sur le plateau, posant des questions, aimant tout simplement être dirigés. »

On apprécie aussi la concision des réponses de Payne face à nos questions de cinéphiles souvent un brin « tarabiscotées ».

En fait, ici deux cultures se rencontrent et je trouve ça très beau : d’un côté les blogueurs cinéphiles de la vieille Europe, enthousiastes et curieux et ce cinéaste d’outre-Atlantique, tout aussi enthousiaste (et qui pousse le vice à comprendre et parler le français !) mais qui répond de façon très pragmatique et professionnelle aux questions de chacun.

A la question « Comment choisissez-vous les scripts que vous allez écrire ou réaliser ? », Payne de répondre simplement : «  Il faut que je possède des connexions très personnelles au film pour mieux le mettre en scène, même si pour Nebraska ce n’est pas un film autobiographique. »

En effet, Payne avoue avoir aimé tourner Nebraska tout particulièrement parce qu’il est lui-même originaire d’Omaha, une ville plus importante en population que celle de ses personnages. Il s’est ainsi personnellement impliqué dans le choix des repérages pour les lieux et décors du film. « Une des étapes que j’aime particulièrement, c’est la recherche des lieux de tournage : être dehors, dans la nature. »

Il faut dire qu’entre la lecture du script et sa réalisation, il s’est passé pas moins de dix ans. De quoi faire mûrir sa réflexion sur ce qu’il souhaitait montrer à l’écran, prendre le temps de choisir ses comédiens. Au sujet de Bruce Dern qui a remporté à Cannes l’année dernière le prix d’interprétation masculine, Payne déclare : « c’est une très belle récompense que toute l’équipe du film s’est un peu appropriée à ce moment-là ».

Et justement, à propos de récompenses, obtenir deux Oscars, être nommé cette année à six reprises pour Nebraska, ça ne change pas un peu la donne tout de même ? Rires de l’intéressé : « Vous savez, les récompenses n’aident pas vraiment face à la page blanche. Pour l’ego, c’est autre chose, bien sûr !… »

Pour Alexander Payne, le script est primordial pour un film de qualité, bien évidemment mais la façon dont il conçoit aussi l’écriture, c’est le montage. Pour Nebraska, c’est à cette étape que la musique a été composée, en fonction des images choisies et de leur rythme. « J’aime toutes les étapes du processus du film mais le montage est la « Terre Promise », selon moi. C’est l’état naturel de l’homme et c’est là qu’on peut retrouver une once de normalité et de vie. On peut avoir des horaires de fonctionnaire et assembler un film, le réécrire aussi. »

Et pour ceux qui pourraient penser que réaliser un film à petit budget est plus simple que réaliser un gros blockbuster, Alexander Payne botte en touche. « Au contraire, ça n’est pas simple du tout parce que pour faire ce film que je voulais précis, minimaliste et élégant, c’était un vrai challenge de tous les jours que de tourner sur un délai très bref (seulement 28 jours !). »

Je lui fais alors remarquer que le casting du fils, interprété par Will Forte était aussi très judicieux tant il dégage une vraie sincérité à l’écran. « Will Forte vient de l’univers de la comédie, mais il a su ici être à l’écoute, proposer, être lui-même, finalement. »

Au fond, la petite boutade en français que j’ai aimé adresser à Alexander Payne à la fin de l’entretien, à savoir « Pourquoi faites-vous du cinéma ? » et sa réponse si concise, si américaine et si appropriée (« Parce que !… ») résument assez l’esprit du film Nebraska et de son réalisateur, profondément humain sans jamais se prendre au sérieux…

Un grand merci à Alexander Payne, Diaphana et CinéFriends pour cette belle rencontre.
N. B: Nebraska d’Alexander Payne sort en salles le 2 avril 2014.
 
Crédits photos: Droits réservés.

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