Conférence du Paris des Femmes: La naissance des emplois au théâtre

Tea time pour les uns, courses effrénées de soldes pour d’autres, il y avait aussi celles et ceux qui, comme moi (mordue de théâtre) avaient rendez-vous en ce deuxième jour de festival, le 11 janvier 2014, avec la comédienne et historienne de théâtre Julia de Gasquet dans la petite salle des Mathurins pour une conférence passionnante animée par la journaliste Karine Papillaud sur « Quand les auteurs écrivent pour des comédiens : la naissance des emplois (au théâtre du XVIIIème au XXème siècle) ».

Pour la rayonnante Julia de Gasquet, l’histoire du théâtre, ce n’est pas seulement celle de ses textes, c’est « défendre une vision singulière de l’histoire du spectacle. » Faire des recherches sur la vie du théâtre, de ses coulisses. Les mémoires des comédiens en sont riches d’enseignement. L’historienne avoue avoir choisi cette thématique de la conférence en clin d’œil à celle du festival de cette année « La Vie : Modes d’emploi ».

En passant des heures dans la bibliothèque de la Comédie Française, l’historienne a pu affiner sa recherche et notamment dénicher le « catalogue des rôles » datant du XVIII siècle, spécifiant les « emplois » tenus par les comédiens de la célèbre troupe. C’est à l’administrateur de la Comédie Française qu’échoit le rôle de nommer les comédiens par leurs emplois. Il existe plusieurs catalogues d’emplois (tragique, comique, etc.) et par exemple, celui de 1778 permet de montrer l’importance des rôles et une certaine forme de hiérarchie. Il s’agit alors de faire fonctionner la troupe de façon la plus efficace possible.

Mais Julia de Gasquet rappelle combien ce système des emplois a pu affadir l’écriture des personnages voire leur interprétation. Un comédien pouvait alors être nommé « chef d’emploi » : il avait la propriété du rôle jusqu’à sa mort (ce qui ne choquait pas forcément ses contemporains) et enseignait aux plus jeunes sa façon de jouer le rôle. On a pu voir cet enseignement se transmettre jusque dans les années 1950 ! Difficile d’imposer alors une nouveauté de jeu…

Victor Hugo est le grand révolutionnaire de la scène française. Avec Hernani en 1830, il crée des personnages qui n’entrent plus dans les cases. Difficile aussi de « cataloguer » Ruy Blas ! Alexandre Dumas, fait également voler en éclats cette conception de l’emploi, en écrivant, quant à lui, la pièce Kean pour le comédien Frédérick Lemaître (sorte de Guillaume Gallienne de l’époque, tant sa notoriété et son jeu étaient reconnus de ses contemporains).

A la fin du XIXème siècle, la notion de « théâtre d’art » apparaît avec Constantin Stanislavski. Ce dernier s’adresse au comédien (son ouvrage est toujours utilisé par les apprentis-comédiens de notre époque !) : selon lui, il n’y a pas d’emploi. Ce qui fait le personnage, c’est le travail du comédien à partir de sa « mémoire affective. »

Sarah Bernhardt, la comédienne la plus réputée de son époque, cet être si débordant d’énergie sur les planches, a appartenu à la Comédie Française, pour mieux s’en affranchir. Elle s’est en effet longtemps rebellée contre la notion d’emploi. Julia de Gasquet rappelle que dans les archives de la Comédie Française il y a de nombreux dossiers intitulés « Affaires Sarah Bernhardt ».

Assignée aux emplois de « jeune première, jeune première rôle de princesse forte, jeune princesse de tragédie », elle a voulu faire évoluer sa prestation dans ces rôles qui lui étaient attribués. C’est en prenant la direction de son propre théâtre (le Théâtre Sarah Bernhardt, actuellement le Théâtre de la Ville) qu’elle a pu enfin trouver la pleine liberté de son jeu.

De nos jours, la question des emplois ne se pose plus vraiment qu’à l’Opéra. Encore que, comme Julia de Gasquet tient à le souligner, elle existe encore un peu à travers la fonction du directeur de casting au cinéma. Le producteur a aussi a son mot à dire dans le choix des comédiens.

Faut-il alors se conformer à une attente du public et miser sur un succès lié simplement à l’annonce de noms de « têtes d’affiches », ou choisir un comédien qui « a la gueule de l’emploi » ? Ou bien plutôt continuer de suivre l’idée de Stanislavski « qu’il n’y a pas de petits rôles, mais seulement des petits acteurs… »

Le débat reste finalement toujours d’actualité…

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