Grignan #3ème journée

Vous ai-je parlé de la cantine du festival, cher ami lecteur? C’est un endroit véritablement stratégique tout autant que décontracté. A l’heure des repas, les personnalités et intervenants du festival ainsi que les journalistes s’y retrouvent pour reprendre des forces, tout autant que de nouveaux contacts. L’ambiance y est délicieusement familiale.

En cette deuxième journée de festival, j’assiste à la rencontre littéraire avec l’académicien Marc Fumaroli. Il y est question de « Chataubriand et l’Amérique ». La rencontre a lieu dans l’immense salle des fêtes de Grignan, une fois de plus pleine à craquer. On y apprend que Chateaubriand n’est autre que l’oncle de Tocqueville. Et que ce dernier a toujours été fasciné, même s’il le décriait souvent, par son oncle. Tous deux ont accompli un voyage en Amérique et ont été attentifs à l’évolution de sa démocratie.

Puis c’est dans le vaisseau de La Fayette que j’embarque alors, lors de la lecture de 12h30 du brillant Nicolas Vaude. La Fayette écrit avec verve, emphase malgré certaines tournures un brin hypocrites à l’égard de sa femme, qu’il a quitté sans prévenir pour embarquer en direction de l’Amérique, alors que cette dernière était enceinte ! Qu’à cela ne tienne, La Fayette se considère comme « un bon père et un bon mari aussi ». Peu d’espace hélas dans cette lecture pour parler de son activité militaire et politique. On reste ainsi un peu sur sa faim.

Et en parlant de faim, on retourne à la fameuse cantine où non seulement un délicieux menu nous attend, servi par des bénévoles aux petits soins, mais où c’est aussi l’occasion de parler de la lectures-spectacle du soir, celle consacrée au journaliste et romancier américain, Hunther Thompson. Serge Sandor et Jean-Philippe Minart qui ont adapté le texte (interprété par Pio Marmaï, étoile montante du cinéma français actuel), entre la poire et le fromage nous composent un teaser bien alléchant : Hunther Thompson, romancier de Las Vegas Parano, grand ami de Johnny Depp, mordu de politique et d’arme à feu et qui écrit très tôt dans ses articles comme dans ces romans sur la mort du rêve américain. Un article cinglant sur John Wayne et la joie d’Hunther Thompson face au décès du célèbre « requin-marteau » nous sera lu par Pio Marmaï le soir-même. Bref, je salive purement et simplement.

L’après-midi est riche à Grignan, en plus de son célèbre marché aux livres où il est très facile de se laisser tenté. Je reviendrai le lendemain à Paris avec une véritable malle de bouquins en tous genres.

En effet, parmi les rencontres littéraires du jour, il y a celle d’avec Catherine Pegard, actuellement présidente de l’établissement public du château de Versailles. L’occasion ici d’évoquer les relations franco-américaines qui ont toujours été très fortes (rappelons plusieurs signatures de traités de paix signés à Versailles et concernant les USA : l’indépendance américaine, signée le 1783, la fin de la 1ère guerre mondiale en 1919. Versailles, c’est aussi le mécénat largement généreux de Rockfeller, la venue de Jackie Kennedy, placée à côté d’André Malraux, le passage de Nixon où plus récemment la venue d’un DiCaprio qui tellement fasciné par les lieux et son histoire, avait été surpris couché entrain de mitrailler les plafonds du château avec son appareil photo. Avec la Marie-Antoinette de Sofia Coppola, Versailles est redevenu à la mode aux yeux des Américains qui constituent les visiteurs principaux du château.

A 17h30, Michel Vuillermoz, de la Comédie Française, lit Ernest Hemingway dans le jardin des Lettres, où des effluves florales viennent titiller nos narines. A propos d’Hemingway, Janet Flanner, (la journaliste américaine que nous fait découvrir quelques instants plus tard, dans la magnifique cour de la collégiale de Grignan, Claire Chazal) écrit : « Lorsque je repense aux remous créés par son écriture si personnelle, ce qui s’impose à ma mémoire, c’est le caractère de ses héros qui, comme Ernest lui-même, étaient d’une virilité outrancière même dans les détails. »

Michel Vuillermoz met en lumière très justement cette virilité outrancière et capte d’emblée notre attention de même que le rythme du texte ainsi que son discours un brin désespéré latent. On en ressort avec l’envie de jurer comme ce dernier et d’agrémenter nos propres répliques d’adverbe tel que « foutrement », d’adjectif tel que « bougre » ou de verbe un brin argotique tel que « débiner ».

Et Dieu merci, le style d’Hemingway ne se résume pas à cela.

La correspondance de Janet Flanner, justement, cette journaliste américaine du New Yorker, correspondante à Paris dès les années 20 et pendant plusieurs décennies, est lue à Grignan par une journaliste non moins célèbre, Claire Chazal qui est aussi un peu la marraine du festival, puisque chaque année, elle se prête à l’exercice, somme toute, peu évident de la lecture face à un public aussi exigeant que la programmation qu’on lui propose.

Janet Flanner a rencontré toutes les personnalités culturelles et politiques qui comptent pendant une grande partie du XXème siècle (Hemingway, Gertrude Stein, Picasso, Fitzgerald, Sagan, etc). Ses célèbres « Lettres de France » sont ici évoquées mais surtout les coulisses de l’écriture de ses articles, son avis souvent tranché sur les personnalités rencontrées. Toutefois, dans cette lecture, on a un peu l’impression de passer à côté du principal et au fond un simple montage de ses articles (déjà écrits sous forme de lettres) aurait suffi pour nous conquérir complètement.

Dans la cantine du festival, Pio Marmaï fume clope sur clope. Rétrospectivement je comprends aisément son trac. Car c’est une véritable prouesse physique tout autant que mentale qu’il va exercer dans la soirée avec ce que j’ai envie d’appeler la « lecture-show » du festival où le public de Grignan découvre les premiers extraits de la correspondance d’Hunther Thompson, tandis que Pio Marmaï descend en rappels le mur de la collégiale.

Le texte et le jeu ici ont véritablement « matché », si vous me permettez l’expression. Marmaï semble se régaler à lire mais surtout à jouer ce journaliste free lance et romancier excessif, à l’esprit vif, halluciné, doté d’un goût démesuré pour l’excès. La mise en lecture provoc’ de Richard Brunel souligne le caractère rock’n’roll et borderline de celui qui n’a cessé de se moquer des aberrations de sa société (beatniks, Guerre du Vietnam, politique, le symbolique John Wayne) annonçant la mort prochaine du rêve américain. Jusqu’à ce qu’il se donne la mort, lui-même, en février 2005, jamais totalement remis des attentats de New York de 2001.

Après la lecture, c’est un tout autre Pio Marmaï que l’on retrouve pour le traditionnel pot d’après-spectacle. Soulagé, heureux et fier du retour très chaleureux du public (plusieurs rappels eurent lieu à la fin du spectacle !), Pio Marmaï se sent déjà prêt à rempiler pour l’année prochaine à Grignan.

 

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